Comment allier histoire et fiction sans tomber dans le roman à thèse ou dans l’essai romancé, c’est-à-dire dans ce qui est le plus souvent considéré comme une détérioration du genre ? Tâche difficile à laquelle plusieurs écrivains aguerris ont échoué. Or, Jean Taillefer s’attaque à cette forme hybride dans son premier roman. Le texte, divisé en deux parties, dont les entrées sont datées, passe du roman historique au récit d’anticipation. La première couvre une période de janvier 1939 à mai 1964. Elle raconte comment un jeune francophone d’Ottawa, François LeBel, a pu suivre l’évolution de l’Ordre de Jacques-Cartier, grâce à l’implication de son beau-père qui recevait, dans une pièce située sous sa chambre – ce qui lui permettait de suivre les conversations – les membres les plus éminents de la célèbre Patente. Jean Taillefer présente les personnes les plus engagées dans ce mouvement, leur idéologie, leurs petites combines et atteste du tout par des notes en bas de page et une bibliographie en fin de volume. La seconde partie, qui ne couvre que cinq jours, en 2012, a des liens assez ténus avec la première. Certes, on y retrouve François LeBel, qui après une carrière en droit et en politique est maintenant, dans son vieil âge, animateur d’une émission de télévision populaire, un talk-show sur la chaîne anglophone. On y retrouve également le thème du nationalisme. Le gouvernement du Québec vient tout juste de voter la déclaration d’indépendance. Cette décision politique entraîne une série d’actes criminels, en particulier de nombreuses explosions de bombes dont une qui fait sauter l’hôtel du Parlement à Québec. L’Ordre de Jacques-Cartier est ici remplacé par les Knights of Vengeance. Mais, si l’Ordre tentait de servir la cause francophone en jouant dans les coulisses politiques, les Knights, eux, privilégient plutôt l’assassinat et les attentats. Comme François LeBel, qui porte désormais le nom de son père – Lemieux –, ne peut s’empêcher de commenter les événements pendant son émission, il sera assassiné. Grâce à ses fidèles chiens et à son chauffeur-garde du corps, l’homme de main des Knights sera arrêté et cela conduira éventuellement à l’arrestation de l’ensemble des têtes dirigeantes de l’organisation.
Bien qu’il s’agisse là d’un roman divertissant qui se lit aisément, il n’en demeure pas moins que le mariage de réalité et de fiction n’est pas particulièrement réussi, les motivations idéologiques l’emportant le plus souvent sur les considérations esthétiques. Toutefois, comme il s’agit d’un premier roman, on peut espérer que ces défauts seront évités dans les prochaines œuvres de l’auteur.