Le dixième roman de Jacques Godbout met en scène le héros-narrateur Michel Larochelle, jésuite agnostique de 35 ans, à qui on a confié la mission de faire sortir d’Éthiopie, en fraude, les Tables de la Loi que Moïse aurait reçues de Dieu et que leur gardien, l’empereur Hailé Sélassié, ne veut pas voir tomber « dans des mains impies ». C’est l’« Opération Rimbaud », lui déclare son provincial, en souvenir de la ville de Harar, où a vécu le poète français. Au cours de ses démarches, le père Larochelle découvre les intérêts qui poussent tout le monde dans cette affaire : le pape, le Négus, les jésuites, les hommes politiques. Il prépare donc un plan pour en tirer profit lui aussi. Mais… ne dévoilons pas le finale !
Sous le couvert d’une fiction qui emprunte de toute évidence de nombreux traits à l’existence même de son auteur, Opération Rimbaud est presque une attaque en règle contre la Compagnie de Jésus, ses membres, ses préceptes, ses traditions. Rares sont les situations où les disciples d’Ignace de Loyola méritent l’estime dans laquelle on les tient généralement : ils sont plutôt ici des spécialistes dans « l’art d’accommoder la vérité » et dans la pratique des restrictions mentales, ils ne s’interdisent guère de plaisirs charnels malgré leurs vœux de chasteté, ils sont toujours liés au pouvoir (Rome, la CIA), ils ont « parfois du sang sur les mains ». Cependant, au lieu de donner dans le ton du pamphlet iconoclaste, le récit emprunte le mode humoristique et la narration à la fois simple et soutenue, précise et directe, de la conversation : « Disons au départ que cette histoire est sulfureuse, qu’elle sent le diable […]. Convenons […] que cette histoire sent les œufs pourris. Et que l’on se bouche le nez, si on ne veut l’entendre ! », commence en effet le père Larochelle, qui se présente comme « un animal domestique à peine apprivoisé, un chat de gouttière qui connaît les bonnes manières ».
Opération Rimbaud est un récit court, non transcendant, mais drôle et en général bien mené, malgré certains passages où la vraisemblance est mise à rude épreuve. (Mais n’est-ce pas un clin d’œil auctorial ?) C’est aussi un roman bien écrit où se révèle l’aisance de l’écrivain d’expérience et où s’affiche le vocabulaire idoine de qui a digéré des acquis culturels.