L’éloquence atroce de cet album fait mal. Non que l’appareil photo nous fasse passer du charnier à la boucherie, mais parce que les regards, les postures, les habitations de ces femmes et de leurs enfants témoignent avec une tristesse infinie des horreurs dues à la guerre. Ce n’est pas le monde des guerriers qui tentent de rendre coup pour coup, ni celui des gouvernants et des maquignons qui rentabilisent chaque mésentente, mais celui des mères privées de leurs enfants, des veuves esseulées à jamais, des infirmes dont la vie a été asséchée sous la machette ou la mine anonyme. Les mains tranchées ne repoussent pas… C’est à la demande de la Croix-Rouge (et du Croissant rouge) que Danziger a photographié ces vies tronquées. Il l’a fait en deux temps : en 2001, pour mettre une chair émouvante sur les chiffres d’une enquête consacrée au sort fait aux femmes par la guerre, puis, dix ans plus tard, pour mesurer les changements apportés aux conditions de vie de ces victimes. Dans la plupart des cas, Danziger a pu retracer ces femmes, mais aucun bilan global n’est possible. Les photographies de la seconde série ont beau opposer leurs couleurs au sobre noir et blanc du premier contact, les séquelles de la guerre demeurent visibles, perpétuelles, scandaleuses. Les mains tranchées ne repoussent pas, les fillettes réduites à l’esclavage sexuel ne rêvent même plus d’un mari, les morts ne dispensent aucune affection aux survivantes. Le lecteur confronté aux regards lourds de désespoirs refoulés ne peut éviter les sempiternelles questions barbelées : « Pourquoi la guerre ? » « Comment un humain a-t-il pu perpétrer cette barbarie ? » Est-il une réponse ? Danziger se montre d’une discrétion de confesseur sourd et amnésique quant aux difficultés rencontrées au cours de ses deux cueillettes d’images. Ces difficultés ont forcément été considérables : on ne circule pas aisément en Colombie et personne ne pénètre dans tel secteur de Gaza sans l’aval israélien. On peut comprendre que la Croix-Rouge, dont la mission exige discrétion et doigté, exige ce laconisme ; chacun, au vu des choix du photographe, se formera une opinion. On s’interrogera pourtant sur le propos attribué à une « cheffe » de famille de Gaza : « Zakiya est fatiguée de cette guerre, espère la réconciliation entre Fatah et Hamas qui conduirait à terme à la fin de l’occupation israélienne » (p. 171). Inexplicable supputation, à moins que… Mieux vaut méditer sur les photographies.
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