Lire Gatien Lapointe, c’est recevoir dans les veines une puissante décharge venue de la terre. Cette terre, avec ses arbres, ses cours d’eau, ses bêtes, semble parler pour la première fois, comme si la nature avait trouvé en ce poète un messager. « Un cri sourd du cœur de la terre / Monte par les racines de cet arbre, / Suit chaque branche, chaque feuille, / Et va s’écraser contre le ciel. / J’ai tout le visage noirci. » Parler de la terre, c’est aussi parler du pays d’où l’on vient. Et Lapointe le fait plus d’une fois. Avec des accents nationalistes, parfois. Dommage que l’histoire littéraire généralement enseignée dans les cégeps et les universités n’ait retenu que cette adhésion, alors que les chants « de mon pays » aujourd’hui ont saveur de redite. Cette lecture idéologique, en plus de réduire la poésie à son message, de lui enlever son épaisseur, a nui, selon moi, à Gatien Lapointe lui-même : il demeure une ombre pâle du fabuleux Gaston Miron, aussi connu pour son idéal nationaliste, un personnage celui-là mystifié. L’édition du présent recueil ne fait que prolonger le malentendu. Mais, dites-moi, que viennent faire les ridicules fleurs de lys qui séparent chacun des poèmes, même ceux qui parlent d’amour ?
Le livre contient deux recueils importants, Ode au Saint-Laurent (1963) et Le premier mot (1967), ainsi qu’un texte paru en introduction de Québec (1982) de Mia et Klaus, « Chorégraphie d’un lointain ». Si la dernière partie, assez brève, présente la thèse du pays, les deux autres, qui font presque tout le recueil, expriment avec force la volonté de vivre d’un homme et de la nature ainsi que l’angoisse de ne pouvoir donner un sens à cette trop courte existence. Un homme dans son pays, oui, mais un homme dans toute son individualité, confronté à une mort qui se rapproche – et qui le happera à seulement 52 ans en 1983.
Gatien Lapointe reste un jalon essentiel de la poésie québécoise, l’un de ses représentants les plus vibrants.