La littérature québécoise semblait avoir épuisé le mythe du père absent mais le roman de Sabica Senez y ajoute encore une nouvelle variation : une femme relit les lettres envoyées par son père des années plus tôt alors qu’il l’avait abandonnée pour satisfaire son goût de l’aventure. On découvre dans ces courtes missives un père aimant, drôle, un peu fou, et profondément égaré. Entre ces lettres relues en désordre, la femme raconte une jeunesse vécue dans l’attente d’un retour qui n’adviendra jamais : voilà que se dessine l’archétype de la petite fille au cœur blessé qui n’a jamais pu détruire l’image haïe d’un père idéalisé.
Plusieurs se reconnaîtront dans le drame intime de la narratrice. Le désir de la mort du père, par exemple, qu’elle nourrissait enfant. Ou l’insécurité qu’elle éprouve maintenant lorsqu’elle dort hors de chez elle. Qui sait, le livre pourrait procurer du réconfort à certains. Quant aux autres, peut-être seront-ils agacés comme moi par ce poncif un peu passéiste de notre littérature nationale. Mais l’écrivain fait ses choix, et la prégnance du thème dans les livres d’ici parle sans doute d’une réalité bien d’aujourd’hui. L’agacement provient surtout du style dans lequel il prend forme, qui, bien que précis et minutieux, s’adonne plus souvent qu’autrement à la répétition pour émouvoir le lecteur : « On a tous un père qui nous aime à la folie[ ]. On a tous un père qui nous fait grimper sur ses épaules », on a tous un père qui on a tous un père qui on a tous un père qui… La mélodie est romantique à souhait.
Dieu merci, de nouvelles figures paternelles émergent de nos romans et de nos films, des pères qui prennent part à l’éducation des enfants, des pères « responsables ». Nulle part ailleurs ne va pas à contre-courant de cette tendance, d’une certaine façon : le père se livre et, même s’il est loin, tente, par ses lettres, de transmettre à sa fille une vision singulière et poétique de la vie. De cet enseignement naîtra chez la narratrice une façon d’aborder la littérature et l’écrit, et les relations humaines par le prisme des mots. Rien de neuf, en somme ; mais la question de l’honnêteté dans l’écrit épistolaire, et plus largement dans l’acte de communication, reste actuelle, et toujours non résolue.