Ici, ailleurs, là-bas, la terre en somme, que les êtres humains se partagent non sans difficulté. Le dernier livre de Marie-Célie Agnant, écrivaine québécoise d’origine haïtienne, emprunte aussi bien au bulletin de nouvelles qu’aux lettres et aux appels téléphoniques qui relient celui qui est resté à celui qui est parti.
Le recueil s’ouvre sur une attente et se termine sur une nouvelle intitulée « L’attente ». Dans celle-ci, Yana, qui était professeure dans une université, a vu sa classe décimée lors d’un bombardement. Réfugiée dans un camp en Palestine, elle devient folle à force d’attendre en vain une amélioration de ses conditions de vie. En revanche, la première nouvelle relate un fait divers qui a fait la manchette des journaux en 2007, la mort de Robert Dziekański. Marie-Célie Agnant se met à la place de la mère de ce Polonais qui, venant au Canada pour rejoindre sa « Mamusia », a été tué de cinq décharges de Taser à l’aéroport de Vancouver. Parlant uniquement polonais, il n’a pas réussi à se faire comprendre, tandis que sa mère, qui aurait pu servir d’interprète, l’attendait dans la salle des bagages. Dans « Apprivoiser Isidore », une autre nouvelle écrite au « je », le lecteur a l’impression que l’héroïne est l’écrivaine elle-même, dont l’appartement est voisin de la maison habitée par un vieux Juif. Survivant de l’Holocauste, Isidore n’a pas réussi à refaire sa vie en Israël. Quand, dans sa mémoire, « l’odeur abominable des chairs brûlées se marie à celle des chairs écrasées par les bulldozers de l’armée d’occupation », il hurle.
Tout expatrié, qu’il ait été obligé de fuir son pays à cause de la guerre ou qu’il ait délibérément choisi de vivre ailleurs, a un « là-bas » enraciné en lui, sa terre natale. Il n’est donc pas étonnant que les deux nouvelles qui ont pour arrière-plan Haïti soient les plus remarquables du livre. L’aventure racontée dans « Un regard assassin », qui a pour héros un petit homme borgne, ex-bras droit de Satrapier – traduisez : l’un des tontons macoutes de Duvalier –, baigne dans une extraordinaire atmosphère de terreur fantastique. Enfin, la nouvelle intitulée « L’héritage » ne pouvait être écrite que par une auteure qui a dans ses veines du sang blanc et du sang noir. La poésie avec laquelle Marie-Célie Agnant décrit l’attirance pour une personne d’une couleur opposée le dispute au réalisme dans la scène où Joséphine, qui est blanche, frotte la peau de sa fille pour tenter de l’éclaircir « jusqu’à ce que son corps se zèbre de marques violacées ». Un livre à lire pour quiconque s’intéresse à la diversité culturelle.
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