Rien n’est laissé au hasard dans cette écriture dépourvue d’artifice, qui tisse ses sujets sans que jamais un fil ne dépasse. Lire Annie Saumont, c’est en quelque sorte accepter de traverser un champ que l’on sait miné. Chaque phrase est tendue comme un ressort et, au moment où on s’y attend le moins, vlan, Annie Saumont nous décoche un coup droit en plein plexus solaire.
Prenons cette nouvelle, « Anniversaire », qui réunit le genre de personnages qu’affectionne Annie Saumont : une adolescente qui ne demande qu’à tout plaquer, à commencer par sa mère qu’elle croit partie en cavale, et deux vieux qui cherchent à être le moins encombrant possible, à ne pas porter ombrage à cette belle jeunesse qui se croit tout permis. Avec pareille mise en situation, on guette inévitablement le faux pas, la phrase, le mot qui trahirait le bon sentiment et ferait s’effondrer la nouvelle sur elle-même. Et on ne voit pas venir le coup. On revient en arrière pour mieux apprécier la feinte, en se disant qu’on ne nous y reprendra pas, alors qu’on souhaite précisément l’inverse en attaquant la nouvelle qui suit.
Le titre du recueil, Noir, comme d’habitude, illustre bien la démarche d’Annie Saumont, et nous rappelle en cela certains de ses titres antérieurs : Le lait est un liquide blanc, Après, Les voilà quel bonheur. Annie Saumont nous donne l’impression d’être en terrain connu, pour mieux nous faire basculer dans sa vision des choses par la suite. Elle se sert de notre incrédulité naturelle, de notre propension à tirer des conclusions hâtives, comme le judoka recourt au poids de son adversaire pour mieux le faire chuter. Sa démarche a quelque chose de félin, elle se déplace en souplesse, entre rapidement dans le vif des sujets qu’elle aborde, épouse les méandres des consciences narratives qu’elle investit pour traduire tantôt l’hésitation, la peur, la colère, tantôt la détresse, l’injustice, la tendresse. Toutes choses qu’Annie Saumont rend superbement.