Jean Bédard renoue ici avec l’ambitieux genre littéraire qui lui avait si bien réussi dans Maître Eckhart. Le décor n’est plus tout à fait le même, puisque le Cardinal vit sa tourmente dans la première moitié du XVe siècle, alors que les audaces de Maître Eckhart se situaient un siècle et demi plus tôt. La préoccupation de Bédard demeure pourtant la même : il rend enfin justice à de gigantesques figures spirituelles que l’histoire a négligées au point de nous les rendre inconnues.
Nicolas de Cues se raconte à Henri de Pomert avec confiance, candeur et humilité. Devant lui, il ose dire que Dieu est forcément athée et qu’on le trouve entier en chacun des êtres. À Henri il confie que le christianisme et l’islam ne s’affrontent que parce qu’ils s’éloignent tous deux de la simplicité initiale. À lui il avoue l’importance de l’incertitude et explique avec insistance ce qu’est la « docte ignorance ».
La pensée de Bédard plane à une certaine altitude. Bédard ne perd pas de temps à expliquer les rapports entre l’Église et l’État, entre la croix et le glaive. Ceux que les dates intéressent trouveront à se ravitailler dans le calendrier qui ferme l’ouvrage. Bédard, lui, reconstitue le cheminement intérieur, la marche d’une âme qui ne peut compter que sur elle-même à une époque où font défaut les balises que sont en d’autres temps une papauté prévisible et des États (presque) policés. Une langue claire et lyrique sert bien le propos.