Voici un livre d’histoire comme je les aime : on retrouve tout sur un sujet bien circonscrit, dans le cas présent les chutes du Niagara. Mais est-ce bien un livre d’histoire, un essai ou un roman à la première personne ? Ou de la poésie ? Ou tout cela ensemble ?
Nicole Champeau vient de Cornwall, ville franco-ontarienne située le long du Saint-Laurent, très loin en aval des chutes du Niagara. Elle a souvent entendu parler des célèbres chutes avant de les voir ; c’est ainsi que se perpétuent les mythes. Pour commencer, les premiers chapitres veulent appréhender sa représentation de la région du Niagara et s’insérer dans cette quête, qui deviendra en soi l’objet de ce livre inclassable : « Niagara devenait un appel. Sa seule évocation me ramenait à un élan de fidélité et à un passé que l’on raconte ». Comme un mélange de genres, Niagara… la voie qui y mène convoque différentes dimensions de ce lieu frontalier, digne d’une légende : les dénominations données autrefois par les Autochtones, les cartes anciennes, diverses gravures, de vieux livres d’histoire, ou encore les récits de voyage, nombreux mais tous oubliés ou devenus introuvables. La narratrice sent que quelque chose s’est perdu au fil des siècles. Un peu comme ces portions de terrain friable qui disparaissent à jamais au fur et à mesure que le sol s’effrite en raison de la puissance du torrent sous-jacent. Pourquoi ce livre ? Sans doute pour revaloriser « ce haut lieu de mémoire », en tenant compte du fait « que le potentiel économique de Niagara a pris le dessus sur son potentiel de beauté ». Les différents supports artistiques qui ont représenté ces célèbres chutes en fer à cheval donneront à leur tour un ouvrage protéiforme.
Au milieu de l’ouvrage, nous changeons à nouveau de genre littéraire pour basculer vers l’anthologie, axée, comme on le devine, sur les chutes. Une soixantaine de pages d’extraits plus ou moins célèbres dans lesquels le Père Charlevoix, Cavelier de La Salle, Chateaubriand, Tocqueville s’extasient devant le paysage imprenable, qui justifie tous les superlatifs. Retenons entre autres ce passage emporté que Jean de Crèvecœur rédigeait à la fin du XVIIIe siècle : « Les parois des promontoires, si lugubres et si sombres pendant l’été, sont alors revêtues de lames brillantes, et les arbres de leurs sommets convertis en obélisques transparents ; les rochers du lac ressemblent à des piédestaux surmontés de blocs d’albâtre ».
Niagara… la voie qui y mène constitue une tentative réussie de remythifier les chutes du Niagara, puisque celles-ci sont devenues un simple site touristique établi autour d’un paysage grandiose. Stylistiquement, Nicole Champeau écrit admirablement et librement, sans s’encombrer des délimitations entre les genres littéraires ; sa plume délicieusement lyrique apporte un renouveau inespéré à la littérature canadienne.