Pareil au poète « aux semelles de vent », Jean Désy obéit une fois de plus à l’appel de l’ailleurs. Cette fois, il gagne le Népal, contrée lointaine aux sentiers tourmentés et aux sommets vertigineux. Pas plus que nous, il ne sait jusqu’où il pourra aller. « Question : une vie humaine vaut‑elle une crête sommitale ? Oui ! dans la mesure où l’on est convaincu que la chose à vaincre, c’est soi‑même. Le sommet et soi‑même, ultimement, ne font qu’un. » Formulation équivoque dont le lecteur devra se satisfaire.
Très tôt, Désy est trahi par son corps. Un instant, on peut le croire frappé par le mal des hauteurs. Hypothèse d’autant plus plausible que Désy n’a rien dit d’un quelconque entraînement, lui qui, lors de telle de ses expéditions nordiques, prévoyait tout, jusqu’à la motoneige destinée au cannibalisme mécanique. Non, le mal de Désy est plus profond, plus généralisé, plus déconcertant. Pertes de conscience, vomissements, diarrhées font de Désy un démuni à la merci de toutes les arnaques. Et c’est là que le voyage trouve son sens : Désy est pris en charge par plus pauvre que lui, soigné, soutenu, transporté par des Népalais qui ne lui doivent rien. Pas un instant, le lecteur ne percevra en Désy une quelconque déception : ce qu’il reçoit de chaleur humaine vaut à ses yeux infiniment plus que la plus héroïque imitation d’Edmund Hillary. Le récit pivote désormais autour de cet imprévu et de cet essentiel. Désy peut délirer, retourner en rêve au Mont-Saint‑Michel avec son « alterégoune » d’antan, baigner dans ses délires érotiques, ne rien enregistrer d’exotique, son voyage est réussi. Le lecteur refermera le livre sans savoir au juste quel était l’objectif initial, mais assuré que Désy a trouvé, bien qu’amaigri et physiquement hypothéqué, ce qu’il cherchait. Même l’agitation de la rue que connaît alors le Népal se déroule sourdement. Ses fils, alertés par ses SOS, auront vu mieux que lui la contestation prendre son envol sous l’œil apaisant du bouddhisme.
Désy raconte ce pèlerinage aux sources avec un souffle et une candeur magnifiques. Ses rêves, il les étale. Ses doutes, il les avoue. Ses réminiscences littéraires ? Il se les sert comme autant de bouées de survie.