Les médias ont beaucoup parlé des « n***** blancs » de Pierre Vallières au cours des derniers mois. Pour des raisons d’hygiène linguistico-idéologique, surtout. On a fait peu de cas en revanche de ce que l’expression usurpait l’histoire de la condition noire. Certes, la « négritude blanche » s’inspirait du Black Power et des mouvements de décolonisation en Afrique pour dénoncer la domination anglaise et l’aliénation culturelle des Canadiens français. Mais, comme le fait valoir l’auteur de Nègres noirs, nègres blancs, « si ces derniers s’approprient la négritude, […] qu’en est-il des Noirs qui vivent dans la même province ? » Pour répondre à cette question, David Austin retient principalement deux événements : le Congrès des écrivains noirs (1968) et l’affaire Sir George Williams (1969).
Le Caribbean Conference Committee, un regroupement d’intellectuels caribéens, met la table au premier en diffusant de par la province les travaux de C.L.R. James sur les révoltes panafricaines et la révolution haïtienne et en réinterprétant la situation des Noirs du Canada à l’aune de la pensée du Trinidadien. De sorte que, quand débute le fameux Congrès, des centaines de curieux se massent dans les bâtiments de l’Université McGill pour entendre l’homme en question, ainsi que quelques-unes des figures les plus en vue de l’activisme noir (Stokely Carmichael, Walter Rodney, etc.).
Un an plus tard, à l’Université Sir George Williams, des échecs scolaires essentiellement motivés par la couleur de la peau alimentent le feu d’une révolte déjà attisée par les idées diffusées au Congrès. Pour protester contre l’incurie du doyen, près de 200 étudiants occupent les locaux d’informatique. Quand les policiers tentent de les déloger, un incendie se déclare. À l’extérieur, des badauds condamnent la tournure des événements en scandant des « Let the n***** burn ! ».
Austin montre, dans ce livre qui insiste sur des antécédents significatifs de la colère noire au Québec, la façon dont Montréal a servi de plaque tournante aux luttes d’émancipation des Noirs au cours des années 1960. Les événements de l’histoire locale, c’est là une des forces de son essai, y sont constamment articulés aux mouvements du grand contexte, et les acteurs historiques, pris parmi la toile complexe des réseaux de lutte qui courent depuis les Antilles jusqu’à l’Afrique, en passant par les U.S.A.