Jess Pilon a pour grand-père Almérique, un singulier personnage bénéficiant de l’étrange pouvoir de déformer la réalité afin qu’elle corresponde, à l’occasion, à ses désirs. Ce talent semble, du moins partiellement, héréditaire. Mais jusqu’à quel point l’est-il réellement ?
Le roman débute alors que Jess commence encore une fois un nouvel emploi, où sa principale préoccupation sera de se fondre dans la masse. Un emploi routinier, prévisible, fastidieux, qui lui permettra éventuellement d’échapper à l’emprise de son chaos identitaire. Car il faut dire que, dès le départ, lorsqu’il n’est question que de remplir le formulaire en ligne d’inscription de nouvel employé, le menu déroulant proposant toutes les alternatives généralement présentées de nos jours, de femme hétérosexuelle à personne transgenre, se révèle cruellement inadéquat pour notre héroïne. Et ce, pour la bonne et déroutante raison que Jess est doté d’une nature plus complexe que toutes celles répertoriées dans les bases de données. Une nature qui, il faut l’avouer, a de quoi compliquer sérieusement l’existence…
Une existence sans doute encore plus complexe que celle de son grand-père traficoteur, qui s’était jadis inventé une petite amie au pays alors qu’il était parti à la guerre. Une blonde qui, à sa grande surprise, l’attendait effectivement sur le quai à son retour. Ce grand-père, Almérique, avait aussi bien trempé dans les combines louches du milieu interlope de Montréal que dans les manigances politiques lui ayant valu la réputation de « faiseur de roi ». Mais Jess découvre que les pouvoirs de cet ancêtre dépassaient ce qu’elle pouvait imaginer lorsque, après son décès, un richissime et étrange financier québécois se présente pour solliciter son aide.
Mon Almérique à moi est un ouvrage d’une grande originalité, écrit dans une langue très vivante. L’auteur y a habilement inséré des éléments historiques propres à agrémenter l’intrigue : la sulfureuse vie nocturne du Montréal des années 1950, la réputée effeuilleuse Lily St-Cyr, l’épisode tragique de la bière Dow à Québec en 1967, les référendums pour l’indépendance de 1980 et 1995, etc. La vaste expérience de Cédric Ferrand en scénarisation de jeux de rôles transparaît dans ce roman fort bien maîtrisé qui ne manquera certainement pas d’être remarqué.