Professeure au département de français de l’Université Carleton (Ottawa), Évelyne Voldeng a publié une douzaine d’ouvrages, essentiellement des recueils de poèmes et quelques romans. Son plus récent texte, Moi Ève Sophie Marie, est un récit de prose poétique dans l’ensemble très réussi, d’un souffle absolument remarquable, en dépit de la répétition de certaines images et d’un discours de la contestation terre à terre (essentiellement à saveur féministe) qui parfois heurte trop brusquement la fluidité des métaphores.
Mais enfin, le propre d’un récit est de raconter quelque chose, et l’on ne se plaindra pas ici de ce qu’il raconte, puisqu’il raconte justement si finement. Visiblement, l’auteure a écrit son texte avec passion et plaisir (ce qui ne veut pas dire avec facilité, au contraire on ne produit pas un tel texte sans acharnement), et ce n’est pas moins de passion des mots qu’il est exigé du lecteur pour qu’il éprouve du plaisir à la lire. L’écriture, qui s’éprouve dans un incessant « corps à corps avec la matière langagière », exploite abondamment une métaphore capricieuse, sculptée de mots rares et profondément sensuelle. « Je vaporiserai au creuset de l’écriture les vagues toujours renouvelées d’imperceptibles naissances, recueillant, dans l’écume de mes chaluts, des grappes de graines de concombres marins, des poils d’oyats, d’érotiques cils de moules et de rouges doigts convulsionnaires d’actinies. » Colette n’aurait pas daigné une telle prose. Ni sans doute le parcours de cette narratrice acharnée à construire son propre destin, sa trace dans un univers masculin aliénant. Après un « mariage codifié » en Provence, la narratrice brise « les chaînes de la culture masculine » pour refaire sa vie à Ottawa, où elle enseigne à contrat la langue et la littérature à l’Université. Dans ce milieu universitaire, elle retrouve « un système de valeurs établies par les hommes » ; en outre, elle se sent écrasée et aliénée par les tâches administratives et la compétitivité du milieu. Peu à peu elle prend ses distances, puis perd son emploi et sombre dans une dépression « royale ». Après avoir flirté avec le nationalisme, le syndicalisme, le féminisme, elle trouve le salut d’une part dans l’écriture poétique, d’autre part en Acadie, qui lui rappelle ses origines bretonnes et où elle retrouve un contexte identitaire qui la rejoint. « Sagouine, ma commère, il nous faut retourner au banc de la petite école pour apprendre à lire dans l’abécédaire nouvelle méthode globale et épeler l’évangile de la femme Avenir. » Cet abécédaire imaginaire, c’est celui d’un « village global nouvelle manière » ou de « l’amour pluriel », où chaque femme, libre de construire son identité, aurait sa place.