Si Amélie Nothomb a battu le record de « descension » du mont Fuji, ce n’est toutefois pas cet exploit sportif qui lui valut son succès. Avec un roman par an, l’excentrique Amélie s’est bâti une réputation de boulimique d’écriture, à tendance patholigico-narcissique. Dans son précédent roman, Stupeurs et tremblements, elle narrait ses débuts dans une multinationale japonaise où elle dégringolait les échelons de la hiérarchie au lieu de les gravir, pour finir sa carrière en qualité de dame-pipi C’est donc un voyage à rebours que nous propose la romancière belge puisque l’évocation de soi remonte cette fois aux trois premières années de sa vie. L’anorexique Amélie y évoque encore ce corps-fardeau qui n’est, somme toute, qu’un entrelacs de tuyauteries, fussent-elles présentées métaphysiquement. Point de mièvre évocation de l’enfance, période où ne se succèdent que la « déglutition, la digestion, et, en conséquence directe, l’excrétion » ; mais de désopilantes confessions. Par exemple, l’apprentissage de la lecture : « Il me parut rationnel de commencer par un Tintin, parce qu’il y avait des images. J’en choisis un au hasard [ ]. Il me serait impossible d’expliquer ce qui se passa, mais au moment où la vache ressortit de l’usine par un robinet qui construisait des saucisses, je m’aperçus que je savais lire. »
Mais pour la petite fille, tout n’est pas uniformément rose. Elle rêve pour son troisième anniversaire d’un éléphant en peluche ; elle aura des carpes barbotant dans un bassin Elle apprécie le petit Hugo « jusqu’au moment où il [passe] à l’ennemi : mon frère ». Enfin, on lui apprend l’inconcevable : son papa diplomate sera bientôt affecté ailleurs ; il lui faudra quitter ce jardin merveilleux qui est terrain de jeu et qui figure l’Éden, « son » pays le Japon, et surtout se séparer de Nishio-San la gentille gouvernante : « Je venais d’apprendre cette nouvelle horrible que tout humain apprend un jour ou l’autre : ce que tu aimes, tu vas le perdre. »
Les thèmes « nothombiens » refluent : Dieu, la mort, le suicide, la nourriture, le plaisir, le pouvoir des mots, et surtout, surtout, l’angoisse de la perte. Car Métaphysique des tubes est, plus que tout autre roman d’Amélie Nothomb, nostalgique : il n’y a de bonheur que dans la petite enfance ; ensuite, dit Amélie, « il ne se passe rien ». En littérature, faire parler des enfants est un défi (il n’y a guère que la comtesse de Ségur et Colette qui réussirent avant elle à conjurer l’afféterie) qu’avec son sens de la dérision et son non-conformisme Amélie Nothomb a su relever avec brio. Mieux écrit que ses précédentes « aventures », ce roman est d’une vive intelligence et d’une malice inénarrable. De loin son meilleur récit.