Pour l’amateur de prose bernhardienne, l’écrit posthume Mes prix littéraires est du bonbon. Du bonbon acidulé pour ne pas dire empoisonné, mais c’est ce qui en fait le charme. L’éditeur, Gallimard, parle même de la sortie de ce livre comme d’un « événement » ‘ on se demande d’ailleurs pourquoi il a fallu attendre vingt ans avant d’y goûter Mes prix littéraires de Thomas Bernhard (1931-1989) contient sept textes qui racontent les circonstances entourant la réception d’autant de prix, auxquels s’ajoutent, selon ce qu’aurait souhaité l’auteur, trois discours de remise de prix et une lettre de démission de l’Académie de langue et littérature de Darmstadt. L’ouvrage, en plus d’être en soi un très bon moment de lecture et de dévoiler comme jamais l’homme, vient éclairer une part importante de l’œuvre du romancier et auteur dramatique : les rapports ambigus de ce dernier avec l’État autrichien. Dans les sept premiers textes, rédigés vers 1979-1980, c’est-à-dire jusqu’à une trentaine d’années après la réception des prix, Bernhard tente de s’expliquer sur les raisons qui l’ont poussé à accepter ces honneurs alors qu’il a littéralement craché sur son pays et son institution littéraire dans la plupart de ses livres. Il évoque les soucis matériels que vient régler l’attribution de bourses, mais il y a aussi, de façon sous-jacente, un besoin de reconnaissance. Un besoin de reconnaissance chaque fois déçu : ou bien il est la dernière personne accueillie après tout le gratin culturel lors de la cérémonie donnée en son honneur, ou bien l’on se trompe de nom et de biographie en le présentant. On comprend, en lisant les discours de réception, pourquoi tel ministre a pu quitter en colère la tribune d’honneur ou pourquoi tel comité a annulé la cérémonie de remise en comprenant à qui il avait réellement affaire. Des textes incisifs, parfois touchants, qui nous ramènent à la question encore irrésolue de l’indépendance de l’écrivain subventionné par l’État.