Déjà rompu aux exigences du genre par ses minutieux travaux sur l’œuvre de Germaine Guèvremont, Yvan G. Lepage nous offre aujourd’hui l’édition critique d’une pièce canonique de la littérature québécoise, Menaud maître-draveur (1937). Comme il se devait, le texte de base adopté est la dernière version revue par l’auteur : il s’agit en l’occurrence, non pas de la « nouvelle édition » de 1964, qui a été « plusieurs fois repris[e] », notamment dans la collection « Bibliothèque québécoise », mais de celle qui avait été « préparée à l’occasion de l’Exposition universelle de 1967 ». Dite « de luxe », cette dernière, avec sa « centaine de corrections et de modifications » ultimes, est demeurée largement inconnue du grand public.
En tout, il existe de ce roman « pas moins de douze états […] sans compter les notes préparatoires et les fragments », dit Yvan G. Lepage, ajoutant que « [p]eu d’œuvres ont une histoire génétique et textologique aussi riche et aussi complexe que Menaud maître-draveur ». Si la diégèse (l’anecdote du récit) est demeurée intacte durant ce parcours scriptural exceptionnel, la langue et le style ont pour leur part connu de profondes révisions : c’est le mérite de l’éditeur critique de nous en dévoiler la nature et la portée par un vaste et méticuleux système de notes infrapaginales accompagnant les cinq « états irréductibles » ici restitués. Le lecteur pourra mettre par exemple en regard « l’exubérance baroque » de la « flamboyante » édition princeps et « l’excessive sobriété », voire la « sécheresse » de la version « édulcorée » de 1944, que Félix-Antoine Savard avait alors « témérairement » présentée comme « définitive ». En somme, il n’y a sans doute pas une seule ligne du texte original qui n’ait subi quelque changement, depuis les signes de ponctuation ou les espacements jusqu’à la suppression ou l’ajout de pages entières visant « l’équilibre » recherché. C’est pourquoi, d’ailleurs, il apparaît pour le moins réducteur de dire que Menaud maître-draveur est une (simple) « transposition originale de Maria Chapdelaine ». Et l’éditeur le sait bien qui souligne lui-même la « langue somptueuse et rutilante » de cette « œuvre envoûtante » et qui note « l’exceptionnelle qualité de [l’]écriture », « la rutilance de [la] langue » et « la puissance [du] lyrisme » que les lecteurs ont admirées.
Un glossaire de 457 entrées (des archaïsmes et des régionalismes lexicaux) et une bibliographie qui ignore peu de références importantes complètent un tableau dans l’ensemble éblouissant.