Parmi les voix nouvelles de la littérature francophone, celle d’Alain Mabanckou est à surveiller de près. Depuis quelques années, le romancier et poète originaire du Congo-Brazzaville construit une œuvre d’une grande qualité formelle, dans laquelle se déploient avec verve et tonus d’appréciables dons de conteur et un esprit inventif qui n’hésite pas à bousculer les usages narratifs. On a pu le voir avec African psycho, cette parodie du controversé roman de Bret Easton Ellis, retraçant, plutôt que la trajectoire meurtrière d’un désaxé golden boy de Wall Street, l’itinéraire d’un criminel raté, où la cocasserie prend vite le pas sur l’extrême violence de la situation. De même, Verre cassé, fable aux relents rabelaisiens annonçant Mémoires de porc-épic, raconte la geste « très horrifique » des clients éclopés d’un bar congolais crasseux. Récompensé du prix Renaudot 2006, le plus récent livre de Mabanckou est le truculent récit, adressé par un hérisson à son « cher Baobab », de sa vie passée auprès de son alter ego humain, le rancunier charpentier Kibandi. Dans cet univers fantaisiste borné par les villages de Mossaka et de Séképembé, chaque être humain possède un double animal. La plupart sont des doubles pacifiques, mais les individus malveillants comme Kibandi jouissent d’un double nuisible, chargé d’accomplir de basses manœuvres pour assouvir la rage meurtrière du maître. Ainsi Kibandi envoie son serviteur à piquants tuer un fournisseur de vin de palme qui s’est mis à le rouler. Ailleurs, le porc-épic doit s’en prendre au bambin d’un homme devant de l’argent à son maître, mais qui a effrontément refusé de le lui rendre. Heureusement, le mal ne saurait ici trop prospérer. Dans ce récit conduit fidèlement au rythme trépidant de l’oralité africaine (Mabanckou troque les points contre les virgules), il y a des rites à observer et des interdits à respecter. L’individu au double nuisible doit, par exemple, s’insérer une noix de palme dans le rectum s’il veut détourner l’attention de lui-même. Après chaque meurtre sordide, des féticheurs risquent de procéder à l’interrogation du cadavre et d’amener celui-ci à révéler l’identité de son meurtrier, de celui qui « l’a mangé ». De même, le livre de Mabanckou, jamais ennuyant, se laisse dévorer.
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