C’est l’histoire d’un écrivain qui raconte l’histoire d’un écrivain qui raconte l’histoire d’un écrivain. Mise en abyme ô combien vertigineuse et, hélas, ô combien galvaudée par tous ces plumitifs fâcheux chez qui le manque d’imagination le dispute à la vacuité stylistique.
Mais là, c’est autre chose.
Sous la plume de son protagoniste, Luc Esline, écrivain de son état, Lionel Duroy expose de main de maître de quelle manière « la réalité fait […] écho au livre ». L’intrigue opportuniste que développe Luc Esline s’inspire du voisinage d’icelui : tous capteurs en éveil, l’écrivain observe, espionne, conjecture, enquête. Il rédige son journal et parallèlement, un roman dont les personnages sont ses voisins, dont il ne change même pas les noms. « C’était une folie, ce livre. Gager qu’un groupe d’individus vaguement constitué, quel qu’il soit, pouvait inspirer un roman, puis le porter, avec mon concours bien entendu, mais tout de même. » Si parfois la folie s’insinue, c’est juste parce que l’écrivain lui-même s’y perd et y perd à loisir le lecteur : ce n’est pas exactement que la réalité et la fiction se confondent, c’est plutôt qu’il devient difficile de les distinguer, à tel point que Luc Esline doit faire des efforts de mémoire pour ne pas gaffer auprès de ses voisins. Ses personnages sont comme l’émanation, l’essence dramatique des personnes réelles, car « le besoin d’absolu est plus fort dans la littérature que dans la vie ». Démiurge un tantinet pervers, Luc Esline revisite les événements réels pour leur donner un sens dans son roman. Car « [I]l n’y a que dans la vie réelle qu’on parvient à étouffer les scandales, à diluer le drame dans le potage quotidien en conjuguant nos lâchetés. Les livres sont le seul espace où chacun est prié d’aller au bout de son destin. À moins que l’écrivain lui-même ne jette l’éponge ». Et la fiction peut bien finir par transpirer dans la réalité, à donner douloureusement conscience de leur vacuité aux pseudo-personnages que nous sommes tous, finalement. Un conseil : méfiez-vous des écrivains…