Tout commence fort à propos pour un roman philosophique sur l’évolution et la biodiversité : nous sommes à Taveuni, l’île du changement de date, deux ans avant le tournant du millénaire. S’y croisent un biologiste, un journaliste, une militante écologiste, un écrivain et une danseuse, qui devisent sur un ton parfois badin, parfois on ne peut plus mystérieux, sur l’histoire naturelle. Au milieu du livre, tout bascule, laissant inabouties les discussions du narrateur avec son alter ego, le gecko, ou avec les autres visiteurs de l’île. Le lecteur aura du mal à retomber sur ses pattes, les discussions étant trop allusives pour qui ne connaît pas déjà les débats actuels sur le darwinisme, et qui se trouve ainsi plongé dans le fantastique.
Gaarder fait manifestement confiance à l’intelligence du lecteur, mais l’embrayage d’un palier à un autre ressemble plus à une pirouette qu’à un approfondissement du propos ; enfin on passe à un roman d’amour, lui même à plusieurs tiroirs. Ce roman-gigogne appuie trop sur chaque niveau et pas assez sur leur articulation : on quitte chacun sans retour, sans boucler la boucle, et le mystère des dialogues de la première partie tombe à plat. À cause des ruptures de ton, on a du mal à saisir l’intention de l’auteur. Peut-être le livre est-il trop long, tout simplement ?