Commençons par l’incipit de la transcription de la conférence servant de premier chapitre à ce second volume d’essais : « Il est bien connu que la découverte de l’inconscient est le fait de deux hommes, Sigmund Freud et C.G. Jung ». De quoi irriter, et avec raison, la majorité des freudiens et des anti-freudiens, pris entre l’idéalisation et la démonisation. Prétendre que Jung joue un rôle aussi important que Freud dans cette affaire relève de la méconnaissance de ce qu’est, logiquement, l’inconscient. Il y a là un manque total de rigueur analytique.
Faisons avec Marie-Louise von Franz un pas de plus : le mathématicien Henri Poincaré jouerait lui aussi un rôle dans ladite découverte pour avoir, au cours d’un « demi-sommeil », eu une vision le conduisant à conclure « à l’existence d’une deuxième personnalité, inconsciente, dont il jugea à sa grande surprise qu’elle était même capable d’émettre un jugement valable dans le domaine des mathématiques ». Avec tout le respect qui s’impose à l’égard de l’une des plus brillantes lectrices de Jung, il est aujourd’hui essentiel de ne pas laisser dire de pareilles choses. À moins de nous enfoncer dans la bêtise et dans la psychologie de bas étage – dominant aujourd’hui le champ social en légitimant la forclusion du sujet -, on doit réaffirmer que l’inconscient n’a rien à voir avec quelque notion de personnalité et de jugement que ce soit. En fait, si l’on veut penser un peu sérieusement, il est absolument évident que la réflexion déployée par Jung au sujet de l’unus mundus (désignant le monde en deçà de notre monde sensible, c’est-à-dire un monde où la matière et la psyché seraient conjoints dans l’espace médiateur de l’âme) tient de la mythologie comparée et aucunement de la psychanalyse.
Cela posé, ce livre au titre bergsonien reprend plusieurs des grands concepts jungiens (les archétypes, l’inconscient collectif, le temps, etc.). Il trouve toutefois son unité autour de la notion aujourd’hui très à la mode de synchronicité, laquelle ouvrirait prétendument un nouveau paradigme d’acausalité. En d’autres termes, la synchronicité se définirait comme un événement psychique faisant coïncider un état de fait avec une représentation, pour autant que cette coïncidence se produise dans l’horizon du sens, celui-ci ne se donnant pas nécessairement sur le plan empirique. Il n’est malheureusement pas possible de discuter ici cette idée, dont Jung va jusqu’à prétendre qu’elle recèle la notion d’un savoir absolu et d’un sens transcendantal. Aperçoit-on l’incroyable dérive possible lorsqu’on ne pense pas le sujet en acte ?