Le roman, dont la parution originale remonte à 1904, s’inspire d’une chanson populaire jadis bien vivante au Canada français et s’inscrit dans la lignée des romans québécois du terroir autant qu’il s’en dissocie.L’œuvre raconte l’arrivée, en 1860, de l’héroïne en titre comme nouvelle ménagère du curé de Saint-Ildefonse, Jacques Flavel. Mais, s’il décrit sous de multiples aspects la vie campagnarde et religieuse de cette époque, l’auteur ne tient pas le discours traditionnel visant à promouvoir la vie sur la terre et ne craint pas d’étaler les comportements parfois peu exemplaires des ministres du culte au lieu d’en faire l’apologie.Marie Calumet crée un bouleversement majeur à son entrée dans sa paroisse d’adoption. Très tôt, elle prend en main les affaires du presbytère et les villageois sont souvent témoins de scènes mémorables. Le roman est en fait une série de tableautins à thématique clérico-rurale auxquels la ménagère imprime ses croyances, sa franchise et son fort caractère. Le chapitre XV, qui relate le sauvetage d’un « cageur » par le curé Flavel, est l’un des seuls où ne figure pas la nouvelle venue : c’est un morceau à part où le narrateur fait office d’informateur, au sens ethnologique du terme, à propos de ces forestiers-draveurs-rameurs qui guidaient autrefois sur les rivières les « radeaux de bois » qu’on appelait des « cages ». Ailleurs ce sont des épisodes où Marie Calumet s’active. Elle conseille par exemple le curé en matière de dîme. Elle va faire « tirer [son] portrait » à Montréal, générant par la suite un douloureux scandale par le port d’un « ballon » (c’est-à-dire un « jupon bouffant en fil de fer », ou une crinoline) et, lors d’une malencontreuse chute, elle révèle devant tous une « violente tache noire », car elle a oublié de passer son caleçon. Elle est de plus mêlée de près à la visite pastorale de l’évêque, et doit décider de ce qu’il adviendra de « la sainte pisse à monseigneur ». Elle est aimée par Narcisse, l’homme engagé du curé, et par Zéphirin, le bedeau, et tous deux en viennent aux coups pour ses beaux yeux. À la fin, Marie Calumet accepte d’être courtisée par Narcisse, qu’elle épouse lors d’une noce tenue au presbytère et durant laquelle le rival éconduit se venge en provoquant une diarrhée générale haute en couleur et en senteur.Disposant de tout son temps, le narrateur raconte avec moult détails ces péripéties sur un ton désinvolte, volontiers railleur, humoristique et satirique. Le monde clérical est tout particulièrement mis à mal. Ainsi, le récit met en scène le curé Lefranc, dont la morale élastique et l’érotisme sont bien visibles à l’égard de l’ingénue Suzon, dix-sept ans, la jeune et jolie nièce de son ami Flavel. Celle-ci sera surprise à « dévor[er] des yeux les versets les plus sensuels » du Cantique de Salomon, un livre de la Bible, dont le pape interdisait la lecture à la masse des fidèles. La prestance hautaine de l’évêque, lors de sa visite, est de même bien marquée et plusieurs curés des alentours, qualifiés de « courtisans accomplis » et « alléchés par l’espoir d’un bon dîner », assistent aux agapes de circonstance.Jean-Philippe Chabot, qui assure en outre l’édition du livre, signe une longue postface où est notamment éclaircie la question du choix par Rodolphe Girard de l’écrivain français Jean Richepin comme préfacier souhaité en 1904. Ce texte fait aussi état des commentaires de tous ordres faits sur le roman, distingue les différentes éditions publiées depuis plus d’un siècle, résume la lourde censure dont Marie Calumet a été l’objet… Deux remarques s’imposent ici, toutefois. Chabot reproche à tort à Luc Lacourcière d’occulter cette censure dans son édition de 1973, au « Nénuphar » : en réalité le folkloriste, qui passe rapidement sur le sujet il est vrai, et qui centre pertinemment sa préface sur ce que doit le roman à la chanson, ne mentionne pas la mise à l’index du livre par l’archevêque de Montréal, monseigneur Bruchési. De plus, la parution en 1969 de l’édition de 1904 en fac-similé, chez Réédition-Québec, permet-elle à Chabot d’affirmer qu’il a « édit[é] le texte original pour la première fois » ? Le même qualifie un peu vite le premier roman québécois, L’influence d’un livre (1837), de Philippe Aubert de Gaspé fils, de « bricolage de légendes paysannes et d’œuvres étrangères ». Au total, cependant, la nouvelle édition de Jean-Philippe Chabot réunit un ensemble cohérent d’éléments divers touchant la publication d’un roman unique dans le corpus littéraire québécois.
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