Dès son premier roman, L’homme blanc (Le Quartanier, 2010), qu’elle a revu et corrigé pour une réédition sous le titre de Kolia (Gallimard, 2011), Perrine Leblanc a recueilli plusieurs prix prestigieux et s’est attaché un lectorat curieux de ses œuvres à venir. Voici Malabourg, du nom d’un village fictif de la Gaspésie qui suggère un bourg qui aurait mal. Mal qui se vérifie jusqu’à un certain point, celui d’une société éloignée, fermée sur elle-même, en deuil de trois jeunes filles assassinées. La première partie amorce une fresque dépeignant des personnages secrets, esseulés, marginaux, bref un espace propice à l’éclosion du crime.
Une atmosphère de désolation, mais pas misérabiliste, parce que rendue par un narrateur au regard de poète, semble-t-il, plus sensible au pittoresque qu’inquiet, malgré les crimes crapuleux camouflés sous le couvert glacé du lac. Car la narration consacre une attention particulière aux odeurs, celles de la mer, des algues et du poisson comme on s’y attend dans un village gaspésien, mais surtout des fleurs que cultive Alexis, l’original, et des essences les plus variées qu’il mélange avec application pour créer des parfums associés à chacune des filles du village.
Le polar amorcé dans la première partie, avec la disparition de trois adolescentes, prend abruptement fin au début de la deuxième. Les crimes résolus, on change de genre et de focalisation pour adopter le regard de Mina, qui est plus avisée que ne le croient les Malabourgeois. Physiquement, elle se distingue du fait qu’elle est la seule à ne pas avoir hérité du gène qui leur dessine à tous un menton en galoche. Les saisons se succèdent de 2007 à 2009, la fresque du village s’élargit avec les soirées au bar Chez Madame Ka, les visites à la grand-mère chez qui Mina déplore « le ventre creux du frigidaire ». Puis ellipse de 2009 à 2011, et l’on se retrouve à Montréal où l’on assiste à la formation d’un couple qui transporte dans la métropole ce que Malabourg a de meilleur. C’est l’époque des manifestations des carrés rouges auxquelles se mêleront les deux Malabourgeois qui « forment ensemble un rocher au cœur des rapides ».
L’écriture de Perrine Leblanc séduit : par l’habileté à transmettre les sensations olfactives, la tendresse ou la stupidité des personnages selon le cas, par la fraîcheur des images. Un style si bien travaillé qu’il laisse une impression de grand naturel.