Certainement le linguiste le plus avisé au pays, Lionel Meney avait déjà publié un monument, son Dictionnaire québécois-français (Guérin, 1999), qui donnait dans un but comparatif et interculturel (et non pour nous « corriger ») les équivalents européens des expressions typiquement québécoises. Dans son nouveau livre, il dénonce l’impasse où se trouvent un groupe de linguistes québécois (les « endogénistes ») voulant institutionnaliser une norme française spécifique au Québec, alors qu’en matière linguistique, la norme viendrait plutôt de France – qu’on le veuille ou non, que cela nous plaise ou non. Ici, il faut bien sûr éviter de confondre la norme venue de l’Hexagone (le « français standard international ») et le français argotique que l’on doit souvent supporter dans tant de mauvais films américains doublés en France.
En utilisant le concept de « diglossie » inventé par Jean Psichari, le professeur Meney décrit précisément la cohabitation des deux niveaux de langue distincts que les Québécois comprennent bien : d’une part le français standard venu de France (la norme, imitée par l’élite québécoise, par exemple à Radio-Canada) et par ailleurs la langue commune au Québec. Il rappelle que les Québécois comprennent tout aussi bien ces deux variétés du français mais se situent quelque part entre ces deux niveaux lorsqu’ils s’expriment individuellement. Ce choix entre deux systèmes linguistiques est un phénomène d’« endoglossie » entre le français populaire et le français standard.
Le propos de Lionel Meney est simple : au lieu de vouloir redéfinir une langue qui existe déjà en créant de toutes pièces des néologismes québécois, il faudrait s’en remettre aux termes qui souvent existent déjà dans notre langue. Il décrit la vanité de plusieurs projets de recherche – largement subventionnés par l’État québécois – prétendant établir la norme du français du Québec, comme le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui (Le Robert) et le Dictionnaire historique du français québécois (PUL), qui identifiaient des mots comme étant des québécismes alors qu’en réalité ceux-ci existaient déjà en France il y a plusieurs siècles. Enfin, l’auteur écorche au passage la Commission Larose, l’une des « plus inutiles qu’ait connues le Québec », dont le rapport comportait en outre des fautes syntaxiques ! Mais Main basse sur la langue ne saurait se réduire à un simple débat dans la « chasse gardée » des linguistes : on apprend beaucoup sur l’origine des mots, sur les anglicismes, sur le snobisme de certains linguistes, et on apprécie en outre une belle défense de l’écrivain Georges Dor.