Pour un homme qui, comme moi, pratique le métier de psychanalyste, l’autobiographie de Janette Bertrand regorge de perles. Tiens, dès le départ, je lis que notre fillette trouve dans une petite boîte qui devait être vide et qu’elle allait jeter à la poubelle l’anneau de sa mère qui sera son propre anneau de mariage. Après l’avoir passé à son doigt pour ensuite l’enlever comme une écharde, cette phrase : « Je dépose l’anneau en dessous de la ouate comme on couche un mort dans un cercueil ». On apprendra que Janette n’a pas été aimée par sa mère, glaciale et conservatrice, et le livre s’ouvrira avec sa naissance en 1925, date à laquelle, précisera-t-elle, Sigmund Freud écrit : « La vie sexuelle de la femme adulte est encore un continent noir pour la psychologie ». Freud se sera d’ailleurs toujours tenu dans une profonde ambivalence à l’égard du féminin, comme en témoigne l’écart entre la théorie et sa correspondance avec Lou Andreas-Salomé.
Voilà donc la pièce en trois actes (l’enfance et la jeunesse, la vie adulte jusqu’à la consécration et la vieillesse) d’une femme dyslexique folle de Colette voulant prouver à son père, qui sait susciter en elle le désir, qu’une fille possède autant de valeur qu’un garçon, ce qui l’amène à devenir ce qu’elle est devenue, c’est-à-dire une femme prônant le passage du patriarcat au partenariat, au point d’être déclarée « femme du siècle » lors du Salon de la femme de 1990. Pas étonnant donc que l’establishment de l’industrie culturelle ne l’ait reconnue que tardivement (Prix du Gouverneur général, de l’Ordre du Canada, de l’Ordre national du Québec, etc.). Cette battante ayant vaincu la tuberculose et poursuivi toute sa vie la lutte contre l’esclavage des femmes aura tôt fait d’utiliser tous les moyens populaires de grande diffusion (journaux, radio, télé, cours de diction et enseignement aux réalisateurs) pour, par le biais du Courrier du cœur (entrepris avec la caution morale de nul autre que Daniel Lagache ) comme à travers plus de cinquante dramatiques, lever les tabous sur l’inceste, l’excision, le sida, l’homosexualité, la différence d’âge entre des amoureux et le suicide, entre autres, ce qui lui vaut d’ailleurs, en 1989, un hommage de la Corporation des psychologues pour sa contribution « au mieux-être psychologique des Québécois et des Québécoises ». Janette Bertrand ne fut jamais si loin de Simone Chartrand et de Franz Fanon.