Belle convergence : L’usage des sens de Roland Bourneuf paraît alors qu’est présentée au Musée de la civilisation de Québec l’exposition 26 objets en quête d’auteurs. Quel est le point de rencontre entre les deux réalisations ? Les objets, comme éléments déclencheurs de l’écriture. Au musée, 26 objets de la collection ont été proposés à autant d’auteurs, chacun devant créer un court texte pour accompagner la pièce exposée. Le recueil de Roland Bourneuf compte aussi 26 textes, des essais brefs, qui parlent des objets. Une visite au musée permet d’apprécier l’exposition, mais suivons Bourneuf dans sa réflexion sur les objets, qui apporte de surcroît un éclairage sur le sens de l’entreprise muséale.
« À quoi donc l’objet nous introduit-il ? À autre chose, à plus que lui-même? » d’interroger l’essayiste, qui poursuit : « Nous pourrions postuler que notre destin, que traverseront tant d’êtres, s’inscrit aussi dans les objets que nous rencontrons, que ce soit fréquentations durables ou sillage d’un bref tête-à-tête. Objets, nos médiateurs ». Or, «[p]our aller à l’objet, il faut réapprendre le bon usage des sens », lit-on en quatrième de couverture. Qu’est-ce à dire ? « Quand mes sens s’attachent à un objet, celui-ci convoque des souvenirs, des associations, des rêves, de l’entrevu, les mots s’appellent eux-mêmes par contiguïté du sens ou du son. » Les lecteurs de Baudelaire auront reconnu la référence aux Correspondances, quoique Roland Bourneuf fasse surtout appel au regard, sans négliger tout à fait les autres sens. Son regard est celui du peintre qui va au-delà des apparences. On est loin de la représentation univoque de l’objet. Pas étonnant alors que les tableaux du poète-peintre insérés dans la plaquette reflètent un monde extérieur intériorisé et transposé dans une harmonie de couleurs, de formes, de lignes et de mouvements où la recherche d’une quelconque figuration serait vaine. Toutefois, si ces œuvres picturales sont du domaine de l’expression pure, les essais, aux frontières de la poésie, font voir une démarche d’appropriation du monde concret au moyen des mots que Roland Bourneuf manie comme un poète, car le poète n’est-il pas celui qui révèle aux autres, en les nommant, les choses invisibles aux sens engourdis ?