Délire ou réalité ? D’une façon ou de l’autre, il s’agit d’une descente aux enfers. Bret Easton Ellis n’éclaire aucunement le débat en se portant garant de l’authenticité du récit : « En dépit de l’horreur que semblent revêtir les événements décrits ici, il y a une chose dont vous devez vous souvenir pendant que vous tenez ce livre entre vos mains : tout a réellement eu lieu, chaque mot est vrai ». Accommodons-nous de l’hypothèse mitoyenne : Ellis décrit ce qu’il estime sincèrement avoir vécu, mais un fossé sépare (peut-être) ses perceptions de la réalité. D’ailleurs, il n’a que lui à blâmer si son lecteur impute aux drogues hallucinogènes, médicaments et alcools en tous genres qu’il ingurgite quotidiennement quelques-unes des visions rapportées « sincèrement » par l’auteur.
Quelle que soit l’hypothèse retenue, on s’incline devant les dons de conteur d’Ellis. Il est nombriliste, mégalomane, menteur, manipulateur, mais il envoûte. Il use de tous les trucs, y compris les plus éculés, parsème le récit de noms réels dont les porteurs auraient peut-être préféré qu’ils soient passés sous silence, se donne le rôle d’un égoïste impénitent et laisse à Jayne celui de l’épouse conciliante et amoureuse, mais tout cela est puissant, rythmé, impétueux. Malgré le désordre des confidences, l’intérêt se concentre graduellement sur les relations père-fils. Relations réparties sur plusieurs générations. Car Ellis, en amont, ne sait que faire du souvenir de son père décédé ; il ne réussit pas mieux, en aval, à établir le contact avec son propre fils. Sur les deux fronts, Ellis subit et livre des assauts épuisants, sans qu’on puisse départager remords et fantastique, dérapages psychanalytiques et phénomènes paranormaux. Qu’il faille une fumigation et un exorcisme pour libérer la résidence des démons, des fantômes, des esprits et des rancunes qui la hantent, cela ne convaincra pas tout le monde. Cependant, la souffrance qui imprègne le rappel de ce combat touche au plus profond.