Ce ne sont pas seulement 22 ans qui séparent Lumière dans le temps du premier roman d’Alina Reyes, Le boucher : ce sont des années-lumière. On ne retrouve rien ici des audaces lubriques de ce boucher aux mains expertes, qui avait « la chair dans l’âme ». Ici, c’est vers l’âme que la romancière érotique se tourne pour faire le récit de sa découverte de Dieu. Pourtant, la chair n’est jamais loin, car Reyes demeure convaincue que le catholicisme est une religion « charnelle et sensuelle » et que la chair communique un message spirituel.
Ce n’est pas le premier texte où l’auteure révèle un côté mystique. Elle a consacré l’an dernier un livre à Bernadette Soubirous, La jeune fille et la vierge. Or, Lumière dans le temps lui sert à rendre public son « grand amour » de Dieu. Née de parents communistes et athées, elle a vécu dans un entourage où Dieu était tabou. Elle a donc longtemps préféré taire le nom de sa passion. Paradoxalement, elle n’évoque pas l’aventure de sa foi comme un événement exceptionnel, mais elle insiste au contraire sur la simplicité et la quotidienneté de ses « rencontres » avec Dieu.
Par endroits, le livre de Reyes évoque les cris du cœur des nouveaux chrétiens (born again), puisqu’il est explicitement placé sous le signe d’une résurrection personnelle et qu’il recourt au vocabulaire de l’exaltation religieuse, avec des expressions comme « le fleurissement du Christ dans mon cœur ». Voilà qui risque de rebuter les lecteurs moins réceptifs aux épanchements de la foi. Pourtant, il serait injuste de réduire ce livre à ce seul élément, livre que Reyes place aussi à l’enseigne de grands poètes visionnaires tels Blake, Nerval et, surtout, Rimbaud. En fait, cet ouvrage vaut par ses accents lyriques et sauvages, de même que par l’originalité de sa forme, « mêlant souvenirs d’enfance, pages d’un journal intime et méditations », comme l’indique la quatrième de couverture.