Il y a au Québec beaucoup de gens qui écrivent, et – heureusement – quelques écrivains qui font véritablement de la littérature. Pour le plus grand bonheur de ses lecteurs, Gilles Archambault fait partie de la deuxième catégorie. Dans L’ombre légère, on découvre des nouvelles d’une grande finesse et d’une profonde richesse littéraire. Les premières réussissent à accrocher le lecteur, à condenser des instants de vie en un épisode, une rencontre, un souvenir, qui deviennent révélateurs de modes de vie, de personnalités, de moments déterminants. La nouvelle « Le bonheur » est à ce titre exemplaire. Non seulement la structure est habile – quelques minutes d’attente sont résumées ici – mais la finale apparaît doublement surprenante : ce n’est qu’en tournant la page 15 que l’on réalise que le paragraphe précédent était en fait le dernier de cette première histoire. Heureux hasard de la disposition du texte ou adéquation parfaite entre le récit et sa mise en page ?
Fort de sa longue expérience d’écrivain, Gilles Archambault crée avec intelligence des climats, des situations universelles. Ainsi, lorsqu’il raconte dans « Un meneur d’hommes » la rétrogradation d’un personnage par un employeur que l’on devine conformiste et superficiel sous des dehors « modernes », de ceux qui veulent paraître de leur temps, le narrateur réussit habilement à évoquer plus qu’à raconter : il suggère et fait réfléchir. Ailleurs, dans « Plaire aux hommes », le personnage dérisoire de l’animateur est « un cancre comme on semble les adorer dans ce milieu ».
Les situations ne sont pas que des invitations à la réflexion, et Gilles Archambault sait inventer des situations dramatiques tendues et inattendues. Dans « Je ne suis pas bonne », la maîtresse de Thomas avoue à l’amant qu’elle a téléphoné à son épouse. L’homme songe aux réactions possibles : « Un premier réflexe, l’agonir d’injures ».
En somme, L’ombre légère constitue un recueil enthousiasmant et subtil, comme on en retrouve trop peu de nos jours, qui porte la marque d’un grand écrivain.