Un peu paumé, raté par choix, artiste peintre de son métier, misanthrope, Jean Poldonski croise un jour un vieux savant fou qui lui inocule bientôt, à son insu, un bacille provoquant ni plus ni moins qu’un voyage dans la causalité. C’est moins la dimension scientifique qui compte que l’expérience humaine qui s’ensuivra et dont rend compte Poldonski lui-même dans ce roman en forme de journal, très certainement un des meilleurs « romans fantastiques » de Jacques Spitz. L’anecdote est bel et bien fantastique ou fantaisiste ou scientifique (comme on voudra), mais le propos, lui, est résolument existentiel : à quoi sert de vivre quand tout est d’avance déjà fini ? « Ils ne sentent donc pas […] que tout revient au même ? » Poldonski voit « les choses à l’endroit où elles sont, mais dans l’état où elles seront plus tard ». La marche en avant ira s’accélérant, le pourrissement dont est témoin le peintre se faisant de plus en plus important. Ce qui nous donne droit à des descriptions tantôt saisissantes, tantôt amusantes, de même qu’à des réflexions pleines d’ironie amère. Sans mourir, le héros assiste pour ainsi dire à son vieillissement, à sa lente agonie, dans cette sorte de précis de décomposition au sens propre. Edgar Allan Poe n’est pas loin dans cette fascination nécrophile, quand Poldonski, par exemple, sent renaître son désir pour Armande, sa maîtresse, alors qu’il la voit moribonde, puis morte. Et toujours, en sourdine ou en clair, ces questions ponctuent le récit : qui sommes-nous ? Quel est notre vrai moi ? Qu’est-ce qui nous attend après ? Philosophie, psychanalyse, théologie : Spitz ratisse large sans en avoir l’air, en grand romancier, dans un récit pourtant aéré, jamais lourd. Bernard Eschasseriaux, qui fut l’intime de l’auteur, signe une bonne préface, qui situe l’homme et signale quelques influences et les grandes lignes d’une œuvre à découvrir.
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