Une maison, grande mais vide, des quidams qui, l’un après l’autre, y transportent leurs pénates : le cadre et quelques personnages sont campés dès le départ. Construit tel un huis clos en pièces détachées, Locataires et sous-locataires suit la veine parodique du polar urbain pour explorer le thème de l’étranger-que-l’on-côtoie. Il se trouve qu’ici chacun des personnages trimballe une légère enflure de l’ego, petite pathologie de la vie ordinaire, et fait en songe des rêves macroscopiques. La maison d’A. devient ainsi le lieu choisi où chacun compte prendre son envol, sorte de centrale-des-derniers-espoirs. Au lieu de quoi, on le devine, fomentent en ses murs moult connivences et trahisons. Tour à tour berné, suivant la dure loi des dominos, chacun assistera avec nous au dérèglement systématique et fatal de ces destins tordus.
Mais si nous savons attendre, la suite nous fera connaître une quatrième logeuse, une jeune étudiante préparant un roman historique dont l’action se situe à Rome environ deux siècles avant J.-C., qui relate en quelque sorte la préhistoire des poursuites judiciaires qu’ont subies des milliers d’initiés au culte de Bacchus et de Dionysos. Or, c’est par la dissection que fait l’apprentie romancière de ce « Réveil Dionysiaque » que la trame du récit de Hella S. Haasse prend sa véritable épaisseur. Elle est ce par quoi la petite histoire tend à rejoindre la Grande Histoire, par le biais de la sempiternelle lutte entre les forces de progrès et de destruction qui anime l’humain depuis sa première cohabitation. Mais cette ouverture, bien que salutaire, tarde à venir dans le roman. Si chacun des personnages est bien campé, s’il s’inscrit méticuleusement dans les délires et les obsessions qui lui sont propres, l’opération se fait sans le recours à une véritable intrigue. La fin venue, toute ficelle révélée, le dénouement tombe quelque peu à plat. Demeure néanmoins au terme de cette lecture une réjouissante impression de voyage vers les contrées lointaines de la Rome antique.