D’abord publié en feuilleton dans L’Opinion publique de Montréal en 1871, L’intendant Bigot est le troisième roman historique de Joseph Marmette. Il porte essentiellement sur la campagne militaire de 1759 en Nouvelle-France.
En mettant au premier plan le personnage éponyme et ses exactions, le romancier ne craint pas de passer la plume à l’historien pour citer, en plein récit, les documents d’archives sur lesquels il s’appuie. Il se permet toutefois certaines libertés avec l’histoire, notamment en chargeant Bigot d’une trahison qui décide du sort de la colonie. À la dimension historique de base, Joseph Marmette ajoute une intrigue amoureuse exposant, d’une part, la liaison adultère de l’intendant avec Madame Péan et, d’autre part, la conduite droite et intrépide du lieutenant Raoul de Beaulac et de sa fiancée Berthe de Rochebrune, dont la pudeur est constamment attaquée par le violent désir du même Bigot.
Ce court résumé laisse déjà subodorer les reproches qu’une critique ultramontaine chatouilleuse n’a pas manqué de formuler au nom de la morale. La dimension historique, quant à elle, a su rencontrer les préoccupations patriotiques chères au Québec du XIXe siècle.
L’intendant Bigot relève par ailleurs aussi du roman d’aventures. On y retrouve en effet plusieurs des nombreuses caractéristiques diégétiques (de l’ordre de l’anecdote du récit) et narratives communes au genre, en France, particulièrement chez les feuilletonistes à succès Eugène Sue, Frédéric Soulié et Alexandre Dumas : enlèvements, poursuites, embuscades, évanouissements, pressentiments, complots, rencontres inattendues, conversations surprises, intervention du hasard…, y compris le « miracle » de la « résurrection » de Berthe, que la « catalepsie » avait d’abord donnée pour morte. Le tout baigne dans un cadre fortement manichéen où le narrateur porte un jugement sur ses personnages et où, à la fin, le mal est puni et le bien récompensé. On peut même inclure au tableau une dimension gothique, illustrée par des spectres, des souterrains humides à mécanisme d’ouverture secret et des morts horribles. Sur le plan rhétorico-narratif, on note de même le recours à la parabase (intervention de l’auteur dans le texte et interpellation du lecteur), au métarécit (récit dans le récit), à l’analepse (retour en arrière), à la prolepse (révélation par anticipation ou projection)… L’intendant Bigot est somme toute bien de son temps.
La réédition de 2005 est toutefois livrée avec un appareil d’accompagnement qui, pour n’être pas sans mérite, n’en demeure pas moins sommaire.