Depuis plusieurs années, Hervé Fischer se fait l’interprète du virage numérique. Dans un nouveau livre, il fait le point sur divers aspects des nouvelles technologies, mais en mettant cette fois-ci l’accent sur ses fondements psychologiques, ce qu’il appelle « l’instinct de puissance ». Il souligne l’écart qui existe entre le progrès spectaculaire de la technoscience et la tragique immaturité de la psyché humaine, écart qu’illustre la saga de George Lucas, La guerre des étoiles, où se côtoient les techniques d’avant-garde des effets spéciaux et un archaïsme psychologique désespérant. La numérité, écrit-il, plus que simple simulacre de jeu, de spectacle et d’évasion, « pousse le paradoxe jusqu’à transformer la réalité ». Elle donne à l’homme un extraordinaire pouvoir d’action pour agir sur elle et engendrer des mondes imaginaires qu’il contrôle.
Nous entrons dans le monde de l’intelligence artificielle où tout devient possible ; nous inventons une réalité virtuelle paraissant plus réelle que la vraie, nous devenons les post-créateurs de la nature. On parle même de transformer l’être humain : les sciences de la vie entrent dans l’orbite du virtuel. Tout notre environnement devient interactif et intelligent, favorisant notre instinct de puissance et ouvrant la porte à la pensée magique primitive. D’où les évocations d’un cerveau global et planétaire, point de convergence de tous les pouvoirs, de toutes les connaissances, port d’envol pour une nouvelle utopie. Même l’économie, mondialisée, entre dans le domaine de l’imaginaire, des rêves et des illusions, menant tout droit à des cauchemars imprévus. Le ton presque prophétique d’Hervé Fischer pour annoncer l’explosion du numérique devient inquiet face à ce grand vide où risque de s’engouffrer l’humanité. Il cherche le salut du côté des valeurs de l’humanisme de la Renaissance et invoque ce qu’il appelle « le lyrisme et le romantisme de notre condition humaine » pour affronter la dangereuse fascination de l’écran numérique et l’angoisse qu’elle laisse dans son sillage.