« À part les profits, seules les banques alimentaires et la pauvreté fracassent tous les records. En prime, sacralisation du marché, déréglementation, flexibilité, retrait de l’État, déficit zéro, disqualification de la justice sociale. L’horreur économique porte un nom : le néolibéralisme ». Le ton de cet essai est résolument critique : il s’agit d’un livre militant qui dénonce l’expansionnisme et les méfaits du néolibéralisme — clairement différencié, dans un appendice final, du libéralisme — et qui appelle à l’action. L’ouvrage est dense, bien argumenté et propose au lecteur un glossaire.
Jean-Claude St-Onge mène sa diatribe en s’appuyant sur les travaux de trois auteurs néolibéraux (Friedrich Hayek, Milton Friedman et Robert Nozik ) et sur des données statistiques. Son premier chapitre retrace l’émergence du mouvement néolibéral : il se structure dans les années 1950, reçoit le soutien d’hommes d’affaires, de milliardaires, de politiciens, d’intellectuels, se constitue en réseau international, et développe, à partir des années 1975, un « nouveau » discours politique relayé par des organisations internationales comme la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International (FMI), l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) et l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).
Les chapitres suivants explorent de façon détaillée les concepts clés des économistes néolibéraux : la notion de marché concurrentiel, leur conception de la justice et de la liberté. L’auteur oppose de façon concrète et systématique le programme des néolibéraux, qu’il résume en quatre points, et la réalité des faits dans les pays qui appliquent cette politique économique.
Premier point : le programme néolibéral prévoit de diminuer le fardeau fiscal des riches et des entreprises sous prétexte de créer de l’emploi : « D’après les données de Statistique Canada, le fardeau fiscal des Québécois est passé de 16,6 % en 1981 à 21,9 % en 1996 ».
Deuxième point : il prévoit d’éliminer les obstacles à la rentabilité des entreprises par la déréglementation et l’accroissement de la mobilité du capital ; dans les faits, « [d]epuis que la Commission de la Santé et de la Sécurité au Travail du Québec a allégé sa réglementation, en 1995, le nombre de décès attribuables aux accidents de travail et aux maladies professionnelles connaît une explosion effarante passant de 147 à 208 entre 1994 et 1998 ».
Troisième point : il prévoit d’ouvrir de nouveaux champs à la mise en valeur des capitaux par les privatisations ; dans les faits, « [e]n 1989, la Grande-Bretagne privatise les sociétés d’État responsables de la filtration et de la distribution de l’eau […] les prix de l’eau augmentent de 13 % en 1991 et de 15 % en 1992. Ces hausses de prix gonflent les bénéfices nets des entreprises : ils passent de 3,8 milliards de dollars en 1992 à 5,4 milliards en 1996. Parallèlement, on enregistre une perte de 4000 emplois […] ».
Quatrième point : il plaide pour la disparition d’un État-Providence et prévoit de supprimer les programmes sociaux ; dans les faits, au Canada, en vingt ans, de 1977 à1997, les dépenses sociales (santé, aide sociale, éducation post-secondaire) sont passées de 7,6 % à7,1 % du PIB. Au Québec, elles ont diminué de plus de 20 %. Mais c’est sans doute aux États-Unis que les désastres du néolibéralisme sont les plus flagrants : le pays le plus puissant et plus riche au monde affiche en effet le taux de mortalité infantile le plus élevé de l’Occident (7,8 %) et se classe au 22e rang mondial pour l’état de santé de sa population.
Ce livre nous invite à prendre position : à la flexibilité professionnelle, au chômage, à la concentration des richesses, à la précarité sociale, au pouvoir du grand capital et à la spéculation, l’auteur oppose l’ambition d’un monde plus juste basé sur l’aide sociale, sur la participation, sur la répartition équitable des richesses fondée sur l’activité réelle des individus. L’heure est venue de choisir son camp et de décider de son avenir. À la veille du Sommet des Amériques, cet ouvrage est au cœur de l’actualité.