Les îles, la mer, le sable, le vent Les images d’une vie idyllique ? Certainement pas pour cette femme, cette épouse, cette mère, cette fille de naufragés qui, un jour, s’est jetée du haut de la falaise. Et certainement pas pour ce pêcheur, son mari, ni pour Claire, Élizabeth et Julien, ses enfants, qui n’en finissent plus de s’engluer dans l’insoutenable deuil, l’infinie incertitude. A-t-elle vraiment fait le pas de trop pour ne plus rien avoir à faire avec ces maudites îles isolées au milieu d’un néant liquide ? Ou a-t-elle perdu l’équilibre, désespérée de ne plus pouvoir reprendre pied sur la terre ferme ?
Exilée à Montréal, Élizabeth, l’aînée, s’accroche à l’asphalte, au béton, à tout ce qui est solide pour tenter d’oublier les Îles-de-la-Madeleine, le père, la sœur et le frère restés là-bas. Mais même le corps de Simon-Pierre n’arrive pas totalement à effacer ce qu’elle a vu, ce qu’elle a osé dire alors de sa petite voix d’enfant têtue : « Elle n’est pas tombée, je l’ai vue ! Ne me regardez pas comme ça ! » et qui lui a valu des hochements de tête et des murmures : « […] folle, folle comme sa mère, pauvre elle, pauvre pauvre enfant ». Claire, la cadette, a repris la place de la mère et de la sœur aînée à la fenêtre de la maison. Elle regarde le bout de la falaise, scrute la mer pour voir le retour du père, du frère, et attend les lettres d’Élizabeth. Mais il y a aussi Bastien qui la presse de partir avec lui Julien, lui, ne parle plus depuis « l’accident ». À peine se confie-t-il parfois à Claire. Obstiné, il continue d’aller pêcher le pétoncle avec le père et de construire un petit bateau. Tous essaient de survivre comme ils peuvent. Mais les îles, la mer, les poissons et les algues n’en finissent pas de réclamer leur dû
En une centaine de pages, L’immense abandon des plages raconte avec beaucoup de sensibilité et de retenue l’inaltérable trace de la mort et de l’abandon. Les questions sans réponse. Pourquoi la mère n’est-elle pas tout simplement partie ? se demande l’une des filles. Pourquoi a-t-elle choisi de se rendre à son ennemie, de lui laisser son corps en pâture comme Gabrielle, la jeune noyée découverte un jour par les deux sœurs ? Cette impossibilité du deuil, sans cesse lovée sur elle-même, aurait pu devenir lourde à traduire, lassante. Mylène Durand a su lui donner trois voix différentes : celle du narrateur, celle d’Élizabeth et celle des lettres de Claire. Un premier roman dont on ne sort pas tout à fait indemne.
Lauréate du Prix Fiction du Salon international du livre insulaire d’Ouessant pour son roman Limmense abandon des plages.
Le 21 août 2009