« Sans arrière-pensée. Sans avant-pensée non plus. O extase ! O nirvana ! Libérés enfin du cercle vicieux des naissances et des morts. C’est du moins mon intime conviction, une de celles que je stocke dans mon for intérieur. Au fait – où il est passé, mon for ? Je l’ai bien mis là quelque part, il était là à l’instant, j’en suis sûr. Hé, Shakespeare – t’aurais pas vu mon for, par hasard ? Tu l’aurais pas emprunté sans me le demander ? Je ferais n’importe quoi pour récupérer mon for ! ». Qui a écrit ces lignes ? Huston ou Beckett ? Le doute, imperceptiblement, s’installe…
Un langage aphasique. Un cynisme inouï qui verse de temps à autre dans le burlesque. L’absurde. Tous les ingrédients y sont : Nancy Huston et Samuel Beckett, qui ont tous deux choisi de vivre en France après avoir quitté leur pays natal, qui écrivent en français aussi bien qu’en anglais, qui ont un goût prononcé pour le sardonique, se confondent dans ces Limbes/Limbo, l’édition bilingue figurant peut-être l’étrangeté du dédoublement ou le reflet si chers au dramaturge irlandais. Ou quand le « Get it in Ing-lish. Shoved. Edged. Lodged in the language like a bullet in the brain. Undelodgeable. Untranslatabled » de la page impaire se mue sur la page paire en : « Caramba ! Encore raté ! ».
C’est donc d’un « hommage à Beckett » dont « il ci-gît » (les calembours sont légion), même si le sous-titre, on le devine, est comme une munificence de l’auteure. Il ne suffit pas de lire le texte de Nancy Huston pour le gober ; encore faut-il, dans le cas présent, connaître un peu Beckett pour le savourer. Car Huston fait mieux que connaître son « sujet » ; elle l’incarne, et pour tout, dire le ressuscite.
En attendant Nancy, Huston nous fait l’offrande avec ce captivant pastiche de 64 pages d’une authentique contrefaçon de l’univers beckettien et « [P]as la peine de vous mettre dans tous vos états ! […] Je suis celui qui est, et ça fait deux ».