Lauréat du Prix du Gouverneur général pour son précédent recueil de poèmes (Romans-fleuves), Pierre Nepveu revient avec une œuvre tout aussi aboutie, à la fois dense et spontanée. Beaucoup de choses se superposent dans ces Lignes aériennes, hormis peut-être l’îlot de la frénésie cocaïnique (quoique « [r]enifleurs de poudre / voyants aux pensées troubles, / les chiens ce soir battent la campagne »). L’expression désigne par contre très bien le texte, fait de lignes suggestives à la façon de signaux de fumée dont on trouve, progressivement, le code. Mais il s’agit d’abord des traînées de fumée provenant des bolides aériens qui survolent depuis quelques décennies Mirabel, lieu dont s’est inspiré Pierre Nepveu dans son entreprise.
Le recueil se présente donc comme une exploration géodésique et mémorielle de cette région jadis très agricole. Un lieu frappé successivement par la destruction expropriatrice qui accompagna les rêves de grandeur, puis récemment par l’échec du projet aéroportuaire. Partagée entre les envolées métaphysiques et l’intimité du sol meuble, la poésie de Pierre Nepveu emprunte tour à tour des accents de Gaston Miron et de Michel Beaulieu, pour mieux affirmer un style intertextuel auquel sa faculté de lecture épanouie assure l’originalité. Dès que, par exemple, on aurait le goût de reconnaître le Jacques Brault d’Il n’y a plus de chemin dans cet assemblage de vers et de proses, d’autres éléments nous ramènent à la singularité d’une voix qui transcende délicatement ses influences.
Trois sections composent Lignes aériennes. La première et la dernière figurent l’aller et le retour d’une promenade, alors que celle du milieu comprend diverses perspectives sur Mirabel, notamment : « Cahier de l’arpenteur » (1969) et « Le journal de la femme de ménage » (1999). Cette mise en scène appuie la veine narrative, aussi incarnée par une syntaxe très déliée, presque volatile.
Hantée par le vide, la poésie de Pierre Nepveu abrite de plus une conscience frappante de la nordicité, autre mode d’une « écologie du réel » où l’écriture confirme son statut d’habitation du territoire et de soi : « [J]’écoutais là-haut / se casser les feuilles, / je me savais sans pardon, / à l’étroit dans ma peau de chaleur / et j’étais devant l’hiver / comme on a tout oublié / d’un visage familier ». Relu, ce livre s’impose comme un petit classique.