On sait bien peu de choses de l’Américain Shane Stevens, sinon qu’il a publié six romans entre 1966 et 1986 et qu’il est disparu des écrans radar de la littérature dans les années 1980. Les éditions Sonatine l’ont sorti de l’oubli en publiant en 2009 Au-delà du mal. Considéré par certains comme le Citizen Kane du genre serial killer, le roman raconte la cavale sanglante de Thomas Bishop, un tueur dévoré par la haine des femmes. Devant le succès – amplement mérité – de cet exceptionnel suspens, l’éditeur récidive et propose aujourd’hui L’heure des loups.
Nous sommes à Paris en 1975. César Dreyfus, inspecteur à la Police criminelle est chargé d’élucider la mort d’un certain Dieter Bock, citoyen allemand retrouvé pendu dans son appartement verrouillé de l’intérieur et ne présentant aucune trace d’effraction. Tout indique donc qu’on est en face d’un suicide. Sauf que Dreyfus comprend rapidement qu’il s’agit d’un meurtre déguisé et que la victime n’est pas Dieter Bock. Ce dernier en est l’assassin.
À partir de là, le lecteur est plongé dans une intrigue d’une grande complexité en raison non seulement de la série de cadavres que l’on découvre dans le sillage de Bock, mais aussi parce que ceux-ci nous entraînent peu à peu du côté de l’histoire secrète des SS, dont Bock était un membre éminent. Pour Dreyfus, dont les parents sont morts à Auschwitz, c’est l’occasion d’une revanche sur l’histoire.
Au cours d’une traque qui nous conduit de Paris à Vienne, en passant par Jérusalem et Berlin, la proie semble s’amuser à laisser sciemment des indices pour permettre à Dreyfus de le pister. Ce qui ajoute encore à l’étrangeté de cette poursuite, ce sont les manœuvres des services secrets français, allemands et israéliens pour empêcher Dreyfus de mettre la main sur le nazi. Au final, Shane Stevens réussit le tour de force de résoudre toutes ces intrigues en respectant les règles de la vraisemblance. Un exploit en soi.
En dépit d’un certain nombre de stéréotypes propres au genre – ici encore un enquêteur à la vie personnelle déglinguée devant un crime ravivant une vieille blessure et victime des charmes d’une Mata Hari de service –, le roman policier doit susciter l’adhésion du lecteur, comme toute autre proposition romanesque. Ici, c’est raté. Le personnage qui tient tous les morceaux du puzzle reste une esquisse, une proposition intellectuelle qui manque d’épaisseur. Parce que Stevens dit plutôt qu’il ne fait ressentir, on reste indifférent au sort de César Dreyfus. Au final, L’heure des loups constitue une belle mécanique littéraire, brillante même mais froide.