Si, depuis quelques années, mythe et mythologies semblent à la mode (les ouvrages publiés sur le sujet pullulent), les méthodes d’analyse qui concilient mythe et littérature tardent, elles, à s’implanter (au Québec à tout le moins). Manque d’intérêt de la part des chercheurs ou recul devant les difficultés qu’impose ce type de recherche, il reste que peu adoptent la mythocritique et la mythanalyse comme approches théoriques de prédilection. Le récent ouvrage d’Eugène Roberto paru aux éditions David, ouvrage intitulé L’hermès québécois, traduit à sa façon cette réticence des chercheurs à pratiquer ces méthodes d’analyse. L’hermès québécois présente une étude de la dimension mythique dans trois romans québécois : Le dompteur d’ours, d’Yves Thériault, Le Survenant, de Germaine Guèvremont, et La terre paternelle, de Patrice Lacombe. Conscient que « dans un au-delà mythocritique ou historique de l’objet, on percevrait le risque d’une dispersion méthodologique et le danger de la dissolution du texte qu’on veut favoriser », Eugène Roberto opte pour l’analyse thématique classique. Le personnage sera le dénominateur commun dans l’étude des trois romans. Quel personnage ? Le théoricien entend découvrir des traces de la figure mythologique d’Hermès dans les œuvres, à partir de ses caractéristiques : « La manifestation du chemin, la métamorphose ingénieuse et l’empire du destin forment un ensemble, où chaque partie est liée à l’autre, et toutes trois se complètent dans l’archétype hermaïque ». L’hermès passant, l’hermès artisan et l’hermès devin constitueront donc les points de repère de la recherche.
L’ouvrage est divisé en quatre chapitres. Le premier tend à mettre au jour les traits principaux de l’archétype mythique dont il est question ici. Hermès se caractérise par sa tendance à favoriser la métamorphose, à joindre nature et culture, tantôt au cœur d’une parole dialectique, tantôt par le recours à des actions bénéfiques pour les sociétés humaines. Les trois chapitres suivants consisteront en l’analyse de chacun des romans à l’étude. Eugène Roberto procède de manière systématique : « À la lumière de l’archétype, je répète, à l’intérieur de chaque texte, une série d’opérations : vérification du noyau constitutif (mobilité dans un espace valorisé, ingéniosité, pouvoir de modelage des destins) ; cohérence du personnage autour de ces éléments ; superposition de la figure romanesque sur le modèle hermaïque ». Hermann, le héros du Dompteur d’ours, se révélera, par sa ruse, un hermès plutôt fraudeur ; le Survenant, de son côté, usant de ses talents pour faire se transformer les habitants du Chenal du Moine, favorisera le caractère glorieux de l’hermès ; tandis que Charles Chauvin, dans La terre paternelle, mettra l’accent sur la dimension filiale de l’hermès. L’analyse, menée rondement et appuyée par de nombreux renvois aux textes, met bien en lumière la résurgence, au sein d’un corpus de textes québécois, d’une figure importante de la culture occidentale. En cela, elle remplit son mandat ; il est toutefois quelque peu déplorable que ce soit au détriment de toute perspective historique ou d’une approche théorique mieux circonscrite.