Le narrateur a quitté Ottawa en 1989 pour la vie monastique en Italie, près de Florence. Quatorze ans plus tard, la nostalgie le gagne et il décide d’écrire ses souvenirs. Sa mémoire est peuplée d’individus qu’il a lui-même côtoyés ou dont des proches lui ont parlé. Son récit s’échelonne de 1983 à 2004, l’action se déroulant principalement à Ottawa. La crédibilité du narrateur serait mise à mal n’était-ce son discret aveu sur la participation obligée de son imagination. En effet, quel narrateur témoin pourrait, à distance dans le temps et dans l’espace, s’immiscer dans les pensées de personnages, de surcroît connus par personne interposée ?
En 1983, le narrateur quitte la maison familiale pour s’installer en appartement.
Période intense pour ce jeune homme de 26 ans qui se découvre plus d’affinités avec des personnes d’âge mûr qu’avec celles de son âge. Un ami de son père l’invite au Club de la Quinzaine, un groupe qui discute de philosophie. Il s’agit là du premier cercle de personnages du roman. Une rencontre fortuite dans un bar avec deux fonctionnaires ajoute un autre cercle de connaissances et lui ouvre une fenêtre sur la vie politique partisane. À l’intérieur de chaque cercle, composé surtout d’intellectuels, se tissent des réseaux. Le romancier se montre attentif au cheminement intérieur des uns et des autres.
Plus que l’histoire proprement dite, ce sont les personnages et les questions qui les assaillent qui créent l’intérêt du roman d’André Alexis. Qu’est-ce que réussir sa vie, de se demander le narrateur à propos du ministre Runstedt, député conservateur de Calgary, qui est allé au-delà de ses ambitions ? L’amitié doit-elle faire taire ses scrupules, s’interroge Edward, proche collaborateur du conseiller politique Franklin ? Jusqu’où va la loyauté ? Et laisser carte blanche à des individus suspects, pour venir à bout de récalcitrants à la réalisation d’un projet gouvernemental, est-il légitime ? S’en laver les mains sous prétexte que l’on ignorait leur mode d’intervention est-il responsable ? Graves questions auxquelles s’ajoutent celles non moins sérieuses du suicide, de la jalousie, de la vengeance, mais aussi du pardon, de l’amour, de Dieu, etc. Thèmes philosophiques, donc.
Roman touffu où abondent les références culturelles. Le romancier natif de Trinidad a pris racine au Canada, à n’en pas douter, avec tous les effets de réel empruntés à la vie politique fédérale et à la ville d’Ottawa. Quoique lauréat de deux prix littéraires pour son premier roman, Enfance (Childhood), et animateur d’une émission musicale à la CBC, André Alexis demeure un auteur peu connu du côté francophone.