Nancy Huston (d’origine canadienne) et Leïla Sebbar (d’origine algérienne) vivent à Paris, se rencontrent dans des réunions de travail, groupes de femmes venues de tous pays. Elles décident d’échanger leurs expériences et leurs réflexions sur le thème de l’exil, dans une correspondance suivie. De 1983 à 1985, elles échangeront une trentaine de lettres, éditées en 1986 : Lettres parisiennes, Autopsie de l’exil et rééditées en 1999, avec un nouveau sous-titre : Histoires d’exil. En 1999, Nancy Huston publie, toujours sur le même thème, Nord perdu (Actes Sud/Leméac).
L’exil est volontaire pour les deux femmes, mais il a déjà marqué leurs mères. Le père de Nancy Huston est albertain, sa deuxième épouse est allemande. Le père de Leïla Sebbar est algérien, sa mère vient de la campagne française. L’une et l’autre ont quitté le pays de leur enfance, la famille et les amis, ont abandonné une langue et une culture. Leur ultime refuge sera la littérature de fiction, écrite dans une langue apprise. Dans un couple d’exilés vivant à Paris par exemple, l’enfance de chacun est incommunicable dans la seule langue devenue commune, le français parisien. Par ailleurs, s’exprimer dans sa langue maternelle devient un problème quand on passe quelques jours dans son pays d’origine ; on est devenue une Parisienne, qui change même la prononciation de son propre nom, qui ne raconte pas qui elle est devenue, cela n’intéresserait pas la famille. On vit avec une mémoire trouée, les événements de l’adolescence ne sont jamais évoqués dans le pays d’adoption et ils s’évanouissent. On devient un étranger ici où l’on vit et là-bas d’où l’on vient ; on n’est pleinement soi-même nulle part. On trahit son pays, comme l’écrit Nancy Huston, et l’on cherche à s’adapter, à imiter, à se faire accepter dans le pays d’adoption. C’est la coupure entre deux milieux, deux systèmes de valeurs. On ne sera jamais parfaitement assimilé et l’on aura perdu le rapport d’harmonieuse évidence avec son pays d’origine.
Chaque vie reste particulière, bien sûr ; les deux écrivaines échangent à partir de leur propre vie, très concrètement. Mais cela fait profondément réfléchir et se dégagent peu à peu les traits particuliers et généraux de l’exil, car ce n’est pas rien de faire une croix, sans raison apparente, sur ses origines, sa langue et sa famille.