Guillaume Apollinaire (1880-1918) fait la connaissance de la jeune Madeleine Pagès (1892-1965) dans un train allant vers Marseille, en 1915. Il est poète, déjà célèbre, et brigadier sous le drapeau français, durant la Grande Guerre de 1914-1918 ; Madeleine vit dans l’Algérie française d’alors. Il a 34 ans ; elle en a 22. Ils s’aimeront, malgré la distance. Apollinaire est envoyé au front ; Madeleine est institutrice. Ils s’écrivent. Au fil de ses multiples lettres, Apollinaire lui raconte sa vie.
Ces lettres détaillées, personnelles, voire intimes, et même enflammées, constituent en quelque sorte l’autobiographie qu’Apollinaire n’a jamais écrite, le journal intime que l’écrivain n’a jamais tenu, le carnet de guerre que le soldat n’a pas voulu rédiger. Au fil des jours et de ces centaines de pages, Apollinaire décrit lyriquement son quotidien dans les tranchées, évoque des souvenirs, explique des épisodes obscurs de son passé. Mais le poète d’Alcools et des Calligrammes dédie aussi à sa bien-aimée quelques vers d’une grande beauté : « Photographie », « Simultanéités », et plusieurs « poèmes secrets », longtemps inédits et beaucoup plus sensuels. Quelques pages reproduites en fac-similé contiennent des calligrammes où les vers prennent forme.
Ces pages de la correspondance d’Apollinaire sont d’une grande richesse littéraire, malgré le caractère parfois répétitif de ses lettres d’amour. On y trouve quelques notes éditoriales, mais il ne s’agit pas pour autant d’une édition critique où l’on fournirait des détails sur le contexte, des correspondances avec d’autres textes ou un glossaire des noms cités. Les lettres de Madeleine à Apollinaire ne semblent pas avoir été conservées. La présentation faite par Laurence Campa propose néanmoins des balises utiles pour situer cette relation privilégiée. Poète inspiré, Apollinaire sait bien parler aux femmes, en décrivant sa passion avec des formules dont nous avons depuis oublié l’usage : « Comment voulez-vous, mon amie, que je vous trouve trop laide quand il n’y a rien de vous, de ce que j’ai vu de vous que je ne trouve adorable et que penser à ce que je n’ai pas vu est pour moi une sorte de supplice d’une douceur excessive ».