Il fallait y penser. Souvenez-vous de l’énorme camion au chauffeur sans visage, qui poursuit inlassablement – sans raison apparente – un automobiliste dans Duel ; du monstre marin déchaîné qui s’attaque aux jeunes gens dans Les Dents de la Mer ; ou encore des personnages d’enfants trop sages dans E.T. et Intelligence artificielle. Toutes ces scènes, au-delà de leur efficacité technique et de leur dramatisation, contiennent des références évidentes à des concepts fondamentaux de l’étude de l’inconscient : au sentiment de culpabilité, au complexe de castration, au père manquant. Vraiment, quoi qu’on en pense, l’œuvre du cinéaste Steven Spielberg constitue une véritable invitation à la psychanalyse et à la psychocritique.
Le psychanalyste Jean-Jacques Moscovitz analyse avec intelligence et rigueur l’ensemble des films de Spielberg, en regard de la théorie freudienne, et en des termes cinématographiques fort pertinents, proposant ainsi des comparaisons stimulantes avec d’autres films importants : ainsi, comment La Liste de Schindler peut-elle atteindre la profondeur du documentaire Shoah de Claude Lanzmann, ou l’audace du film Le Tambour de Schlöndorff ? Comment Il faut sauver le soldat Ryan se distingue-t-il des autres films de guerre ? Chaque long métrage est passé en revue, afin d’y déceler les éléments symboliques.
Les rencontres entre la réflexion psychanalytique et le cinéma contemporain n’ont pas souvent eu un dénouement aussi heureux que cette contribution très originale de Jean-Jacques Moscovitz. Celui-ci amène certains concepts comme la « caméra interne », pour expliquer que plusieurs patients racontent leurs traumatismes comme s’ils tournaient un film. Malgré quelques égarements (dans la deuxième moitié du livre) et plusieurs références imprécises (p. 84 et 232), on lit cette lettre ouverte d’un psychanalyste à un cinéaste avec enthousiasme, en pensant aux livres de Serge Tisseron sur Tintin. Comme lui, Jean-Jacques Moscovitz contribuera à nous initier à la psychanalyse (ou à nous réconcilier avec elle). Nous attendrons d’autres études sur des cinéastes qui le méritent vraiment, comme Bergman, Fellini, Truffaut, Tarkovski.