Au siècle où l’on autorise le suicide assisté en fin de vie, où la beauté et la performance corporelles sont encensées et si recherchées, où des scientifiques travaillent à des modifications génétiques pour prévenir les déficiences in utero, quelle place un handicapé prisonnier de son corps peut-il prétendre occuper dans l’échelle de l’humanité ?La vie a-t-elle encore un sens ? Pourquoi ne pas en finir ? C’est à cette grave réflexion que nous invite Andrée Laberge, lauréate en 2006 du Prix du Gouverneur général pour La rivière du loup.Le narrateur, atteint de dystrophie, vit seul en appartement. Au milieu de la nuit, une envie d’uriner le sort de son rêve de voyage en apesanteur dans l’espace. Incapable d’attraper l’urinoir qui dégringole de la table de chevet, il est condamné à attendre le préposé aux soins du matin dans des draps trempés. Il pleure de rage, blessé dans sa dignité. Façon de s’objectiver, il se raconte au « tu », use d’autodérision, d’ironie et de sarcasme, ses armes d’autodéfense. Nous le suivons du milieu de la nuit jusqu’à la fin du jour.Finie l’époque du funny boy qui faisait le troubadour sur les tables de bar au cours de beuveries, effondré le projet de doctorat en physiologie dont il a été expulsé par manque de sérieux et faiblesse de caractère, enfuie la femme qui l’aimait et le voyait comme un créateur de rêves. Maintenant cloué à son fauteuil roulant, il dépend d’autrui pour ses besoins les plus élémentaires. L’idée de quitter cette vie de « limace », comme il la voit, le taraude. Selon les interactions qu’il aura au cours de la journée, il comprendra après des tergiversations qu’il est de ces « personnes vulnérables, créatrices d’empathie et de compassion, maillons forts de notre humanité » à qui l’écrivaine dédie ce roman.Avec ses personnages sans nom et son intention éthique, L’espoir de la beauté s’apparente au roman didactique. Deux protagonistes ont des surnoms évocateurs de positions contrastées : l’ange-gardien, préposé aux soins du matin, qui donne bien plus que ce qu’exige sa fonction, et avec l’aide de qui le narrateur s’est guéri de la dépendance à l’alcool ; l’ami d’enfance, dit le Cerveau, chercheur de réputation internationale, mais malotru dans la vie privée, qui prône les modifications génétiques pour abolir toutes déficiences. Les autres sont les préposés du midi et du soir, le frère, la voisine physicienne, l’ex-amoureuse. Tous, en présence ou virtuellement, contribuent à un moment ou l’autre de la journée à la réflexion du narrateur.Si L’espoir de la beauté ne clôt pas la question existentielle que l’on se pose depuis la nuit des temps, il a le mérite de susciter la réflexion à partir d’une situation qui touche chacun d’entre nous. Qui ne s’est pas dit, comme le jeune préposé du midi pourtant sensible à la poésie, s’imaginant dans un état semblable : « Moi, ça fait longtemps que je me serais tiré ! » Alors que le personnage du frère, homme d’affaires super occupé, voit ses visites à son aîné comme « un bain d’humanité ». Ce roman d’Andrée Laberge célèbre la solidarité, l’empathie, la compassion en contrepoids à l’homogénéisation de l’espèce humaine qui la fragiliserait.
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