« Nous sommes l’espèce fabulatrice », affirme Nancy Huston, donnant le ton et le titre à son essai. Dans sa réflexion sur la place de l’imagination et de la fiction dans nos vies, elle précise : « Notre spécialité, notre prérogative, notre manie, notre gloire et notre chute, c’est le pourquoi ».
Est-ce la mi-cinquantaine qui fait emprunter à la romancière de Calgary, installée à Paris, des chemins sociologiques et philosophiques ? Les pensées de l’authentique affabulatrice captivent a priori mais le ton didactique de L’espèce fabulatrice est parfois lourd et peut lasser. « Voyons un peu comment fonctionne la fabulation dans ces deux vastes domaines » que sont l’amour et la guerre, bien entendu.
Nancy Huston commente ses lectures, cite des auteurs qu’elle aime, évoque des faits divers. Comme si elle livrait son journal intime, elle décline ses impressions. Ses références s’enroulent autour de la thématique centrale. Pas de conclusion à la fin des dix chapitres sur la fragilité de l’être humain et c’est sagesse de sa part.
Si certaines remarques sont percutantes, telle « les masses préfèrent toujours la soumission, l’obéissance, la conformité aux normes, les rituels, la superstition », d’autres ont les accents mièvres de surprenants lieux communs : « Il est beau de voir un être se détendre et s’épanouir sous l’effet de l’intérêt que nous lui portons ». Bien sûr.
Le constat de l’écrivaine sur les femmes – si original – n’est pas étayé et manque étrangement de conviction. « (Soit dit entre parenthèses : il se pourrait bien qu’en Occident les femmes soient plus civilisées que les hommes. Non seulement parce qu’elles lisent nettement plus de romans qu’eux, mais parce qu’elles apprennent tôt [ ] à voir le monde à travers les yeux des autres). »
Quel à-propos pourtant quand Nancy Huston choisit une citation de Danilo Kia, ce grand écrivain juif-hongrois de Serbie, mort à Paris à 54 ans : « […] la lecture de nombreux livres mène à la sagesse et la lecture d’un seul à l’ignorance armée de folie et de haine. » Ô combien actuel.