Consciente de détenir un sujet inédit, ou presque, en littérature québécoise, Micheline Bail s’est soigneusement documentée sur l’esclavage au Canada. Son roman historique exploite le cas authentique de Marie-Joseph-Angélique, une jeune Noire africaine qui, peu portée à la docilité, multiplie les gestes rebelles. Un jour, l’esclave est accusée d’avoir provoqué un incendie dans le but de camoufler sa fuite avec un coureur des bois : on la pend au terme d’un procès brutal.
En avant-propos, Micheline Bail identifie la vingtaine d’historiens qu’elle a consultés pour la rédaction de son roman. Au total, celui-ci met en scène plus d’une dizaine de personnages réels. L’auteure dit aussi avoir procédé à « une étude serrée » du « manuscrit du procès intenté en juin 1734 » contre Angélique. L’esclave parvient ainsi à reconstituer avec force détails un pan de l’histoire de la Nouvelle-France (1727-1734) et à faire revivre une institution dont l’historien Marcel Trudel s’est fait le spécialiste. Le livre s’approche même parfois de la chronique tant sont nombreuses et exactes les références aux dirigeants civils et religieux de l’époque et tant sont reproduits avec vraisemblance les us et coutumes du temps concernant l’administration de la justice, les relations entre Blancs et Amérindiens, les rivalités entre marchands de fourrures, les rapports d’autorité entre maîtres et subalternes… Sont également recréées, de façon généralement toute naturelle, une foule d’habitudes sociales, langagières, éducatives, disciplinaires, vestimentaires, mobilières, architecturales, artisanales, culinaires, vulnéraires, locomotives, industrielles (les Forges du Saint-Maurice), sexuelles… Le narrateur se double en fait d’un véritable informateur, au sens ethnologique du terme.
Malgré quelques longueurs et répétitions, notamment dans le récit du procès, L’esclave emporte allégrement l’adhésion du lecteur. Il est à souhaiter qu’il suscite au Québec des épigones aussi compétents.