Même si ce roman de Bi Feiyu vient tout juste de paraître en traduction française, bon nombre de cinéphiles en connaîtront déjà l’intrigue : Les triades de Shanghai a été porté au grand écran par Zhang Yimou en 1995, dans un film mettant en vedette Li Gong (Memoirs of a Geisha) dans le rôle de l’inoubliable Bijou. Car, ainsi que le suggère le gros plan de visage en couverture, c’est véritablement elle qui occupe le cœur de ce roman du Shanghai interlope des années 1930. Égérie du chef du gang de la Tête du Tigre, la chanteuse et danseuse Bijou s’impose d’emblée par sa personnalité impossible et complexe. Aussi capricieuse qu’imprévisible, elle peut passer sans transition des élans de tendresse aux manifestations de la plus cruelle froideur. Reine des nuits chaudes de Shanghai, elle finit par causer sa perte, ainsi qu’a tôt fait de nous le révéler le narrateur, Tang, un adolescent campagnard entré à son service lorsqu’elle ne pouvait plus supporter d’être servie par des jeunes filles. Bijou sera vue à travers le regard ingénu de Tang, alias « Ruf pourri ». Dans ce livre, les individus sont affublés, pour la plupart, d’insolites sobriquets : Lunettes noires, Visage chevalin, Deuxième maître, Boulier en Cuivre Outre le récit des splendeurs et des misères d’une maîtresse de parrain, Les triades de Shanghai relève aussi du roman d’apprentissage. Le narrateur, un vieillard au moment de la narration, évoque ses souvenirs d’une époque qui l’a vu se transformer, d’adolescent ignare qu’il était, en jeune homme abruptement plongé dans l’univers dépravé et violent de la pègre. Le livre de Bi Feiyu vaut également par son portrait de Shanghai comme perle de l’Orient et ville maudite. L’image qu’en donne le romancier chinois est délicieusement ambivalente, mi-séduisante, mi-inquiétante : « Si le grand Shanghai veut prendre ta vie, tu n’as aucun moyen de la lui refuser ». De Bi Feiyu, les éditions Philippe Picquier ont déjà fait paraître L’opéra de la lune (2003) et Trois sœurs (2005), et on peut également lire chez Actes Sud De la barbe à papa un jour de pluie (2004). Dans cette traduction signée Claude Payen, l’écriture de Bi Feiyu coule de source et sait garder le lecteur en haleine. Il s’agit, en somme, d’un petit « bijou ».
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