L’œuvre de Serge Patrice Thibodeau a toujours été le lieu de questionnements spirituels, avec tout ce que cela comporte de doutes et de déchirements. Avec Les sept dernières paroles de Judas, le poète, par la voix de l’apôtre, interroge l’homme, l’amour et Dieu.
Lâche criminel, Judas ? Pure passion, plutôt. Beauté perdue, cri d’amour. Mais « les hommes, de la beauté ne savent que faire ». Aussi, livrant Jésus-Christ afin que s’accomplissent les Écritures, Judas témoigne d’un amour d’une telle intensité qu’il devra le payer de sa vie même. Et le fameux baiser de la trahison n’est alors peut-être que l’ultime expression de sa foi, de son amour : l’arrière-goût, tendre et amer, de la mort qui aura tôt fait de réunir les deux amis.
Si l’apôtre – « la face cachée de l’homme » –, si son destin, si son histoire fascinent autant, c’est sans doute parce qu’en eux se joue tout le drame de la foi, et ce, de manière totale, viscérale : est-ce bien Judas qui trahit Jésus ou plutôt Dieu lui-même qui trahit l’apôtre, l’homme ? Ce Dieu qui brise, abandonne, lâche, oublie, se tait ? Quoi qu’il en soit, la figure de Judas incarne probablement mieux que celle de tout autre apôtre le tourment de l’homme devant l’insondable immensité du ciel, l’incessante tension entre corps et esprit, aveuglement béat et cruelle lucidité.
La plume de Serge Patrice Thibodeau, toujours frémissante, vibrante, parvient à faire ressentir la chair même de l’homme – oui, seulement ça : la chair d’un homme. Un homme brisé, perdu, qui, passant une corde autour de son cou, ne fait ni plus ni moins qu’achever le baiser, la douleur tombée « dans la gorge », celle d’aimer encore, même condamné, même seul, même sacrifié. « La peine que je traîne n’a d’égal / Que le chagrin d’amour : un écho / Rien de moins, c’est tout dire », chante le Judas de Thibodeau. Et, dans un sanglot étranglé, cet homme qui va mourir vient nous rappeler que même après tout, même lorsque plus rien ne tient, il reste au moins, dans la gorge de quiconque a aimé, la chaleur de ce sanglot étranglé, c’est-à-dire une voix.