Partant de l’affirmation d’Alain Crandbois « qui dit avoir lu beaucoup et de tout », Yves Laliberté tente ici de mesurer « l’envergure [des] lectures » de l’écrivain et «leur importance dans son inspiration poétique ». Comme on retrouve chez lui les mêmes modèles que sont « les grands ensembles philosophiques et religieux », l’objectif de la démarche est d’analyser dans son Œuvre « les deux types de rites empruntés a la tradition » a savoir « les rites commémoratifs et les rites initiatiques ».
C’est sous l’angle de l’intertextualité et de l’herméneutique que progresse cet essai aussi ambitieux que documenté, qui ne craint pas de proposer les filiations en apparence les plus étranges. Laliberté puise en effet autant chez Empédocle et ses commentateurs (Aristote, Plutarque et Lucrêce) que chez Hegel, Goethe, Novalis et Mikel Dufrenne. Il cite autant Ovide, Homère et la Bible que Dante, Nerval, Éluard Saint-John Perse et André Breton. Il tire de même profit aussi bien de l’anthropologie et de l’ethnographie que de la peinture surréaliste et du cinéma expressionniste.
Les rapprochements effectués ne sont pas toujours des plus convaincants et on se surprend même parfois à soupeser la quantité relativement limitée des écrits de Grandbois qui servent a la démonstration dont certains à plusieurs reprises par rapport au nombre de ceux qui ne le sont pas. Laliberté utilise a cet égard, non seulement les poèmes de l’écrivain, mais encore son Œuvre en prose, y compris Né à Québec et Les voyages de Marco Polo (qu’il range toutefois erronément deux fois dans la catégorie des « romans »). De même, en voyant passer sous sa plume les expressions « seuil de tolérance », « vécu personnel » ou «porosité de son caractère », et en lisant que le poète « a conscience de ne pas correspondre au portrait idéal du maître à penser tracé par Héraclite », on se demande si Laliberté ne succombe pas a la tentation d’étendre la personne même de l’auteur sur le divan du psychanalyste au lieu de faire l’« essai sur [s] a poésie » annoncé par le sous-titre de son ouvrage.
Dans l’ensemble, toutefois, le lecteur se rallie volontiers a la lecture d’Yves Laliberté, chez qui il faut souligner généralement une prudence de bon aloi. Il remarquera probablement encore davantage la surprenante érudition de l’essayiste qui, a l’instar de Grandbois, a lu beaucoup et de tout, et avec intelligence, ajouterai-je, au sens étymologique du terme.