Le Styx, dans le titre français, évoque la séparation du monde des morts du monde des vivants, en référence au fleuve de la mythologie grecque qui entoure les Enfers. Sylvia, personnage central du roman, dont le narrateur à la troisième personne privilégie le point de vue, est attirée par le monde disparu. Indifférente, voire absente à la réalité qui l’entoure, « elle était convaincue que la seule famille qu’elle avait eue avant lui [son amant, Andrew] était celle des morts. Les objets, les cartes et les enfants disparus ».
Roman de la mémoire et de l’oubli, qui fouille les ruines pour reconstituer le passé, entremêlant matériaux historiques et constructions imaginaires. Un récit enchâssé attribué au vieil Andrew Woodman, disparu un jour de tempête, remonte jusqu’à son arrière-arrière-grand-père, arrivé d’Europe au début du XIXe siècle pour s’installer dans l’île Timber, don du Parlement d’Angleterre. On assiste au début de la déforestation du nord-est de l’Ontario par ce Joseph Woodman, constructeur de bateaux et marchand de bois aussi austère que prospère. Du dégel jusqu’en novembre, ses immenses radeaux chargés de bois sillonnent le grand lac Ontario pour gagner le fleuve et se rendre jusqu’à Québec. L’arrivée du bateau à vapeur sonnera le déclin de l’industrie navale de Woodman. Disparition d’une industrie. Les générations du fils et du petit-fils verront, elles, impuissantes, le sable envahir leur espace, venir à bout des champs d’orge et enfouir jusqu’à leurs demeures. Disparition d’un équilibre écologique.
Les deux parties qui encadrent ce récit consacré à la famille Woodman se passent à une année de distance. La première nous introduit dans l’univers énigmatique de Sylvia, 53 ans, que Malcolm, son mari médecin, surprotège comme une enfant, en raison de « son état ». Aucun diagnostic précis n’identifiera « son état ». Elle réussira tout de même, dans la dernière partie, à se rendre seule dans la grande ville pour rencontrer l’artiste qui a trouvé le corps d’Andrew dans un bloc de glace sur les rives de l’île Timber où le jeune homme était en résidence pour quelques mois. Malgré la distance d’âge, sensibles à leur marginalité réciproque, ils sympathiseront jusqu’à se faire des confidences dont ils sortiront tous deux transformés intérieurement.
Les rescapés du Styx est remarquable par sa construction et sa qualité d’écriture qu’une traduction « invisible » a su bien rendre. Cependant, la progression de l’intrigue qui épouse le rythme lent du personnage de Sylvia a quelque chose de lassant.