Lorsque Jaime Montoya, Maya « de race pure » — réfugié ?, immigrant reçu ?, en tout cas exilé —, descend l’escalier de son logis un dimanche matin d’hiver, que peut-il bien avoir oublié qui le mettra en retard pour se rendre à son travail, chez Garneau Textile ? A-t-il fermé la porte de son réduit ? A-t-il pris ses gants et sa tuque avant de sortir ? Il neige dehors. Et son portefeuille, on ne sait jamais : son argent, ses papiers surtout… Une seconde d’hésitation et le récit s’enclenche comme un film au ralenti.
Jaime doit remonter. Mais voilà qu’en arrivant devant sa porte, il constate qu’elle est ouverte. Quelqu’un est-il entré ? Pour voler ? Voler quoi ? Sa porte ainsi qu’un trou, sa porte dont il n’ose franchir le pas, geste qui éclairerait sans doute cet « immense vide de mémoire » dont il ne réussit pas à s’échapper, mais dont il lui faut pourtant sortir s’il veut se mouvoir, survivre. Cette absence le ramène subitement à une angoisse originelle tenace, qui se traduit par une sensation d’étouffement, comme quand on se noie.
Pourquoi n’avance-t-il pas ? Qui l’en empêche : l’individu qui se trouve dans son appartement ? Comment le faire sortir ? Devrait-il utiliser la violence dont il se sait capable, lui, un ancien guérillero ? Pourtant, il reste médusé dans l’escalier. Alors ? Incendier l’édifice, geste extrême, ou, plus raisonnable, créer une diversion en allumant un petit feu au sous-sol, de manière à déclencher les détecteurs de fumée ? Mais y a-t-il vraiment quelqu’un ? Tout se brouille et les témoignages, s’ils concordent sur certains points, se confondent avec la rumeur et se contredisent sur plusieurs autres. Le narrateur lui-même avoue qu’il est littéralement « désemparé » par les hypothèses, toutes plausibles et invraisemblables. Or là réside peut-être l’essentiel : comment raconter ce qui échappe à l’ordre de la légitimité ? D’où les hallucinations de la psychose tirent-elles leur vérité ?
Sous cette ambiguïté, une peur extrême se dévoile, peur de qui a connu la dictature, s’est vu transplanté dans un pays inconnu. La peur de mourir privé de soi. Car il faut sans cesse redire « que chaque fois que quelqu’un quelque part, un autre Montoya, est obligé de quitter son pays à la recherche d’une terre d’exil, eh bien, c’est pour toi et moi, pour nous tous, une raison d’avoir honte. Oui, honte de n’avoir pas fait en sorte que les gens ne soient jamais poussés à une telle extrémité ». Montoya : le nom de qui se trouve voué au mépris.